UN ÉGYPTIEN À PARIS (46)

Publié le par Yaqzan

Sous Charles X et Louis-Philippe


Rifa‘at at-Tahtaoui témoin de La révolution de 1830, dite des "trois Glorieuses"

Les prémisses de la Révolution


"Je veux vous raconter la révolution (1) qui s'est produite en France avant notre retour en Égypte et qui a abouti à la destitution du roi. Je le fais parce que cet événement représente pour les Français l'un des moments les plus heureux et les plus célèbres de leur temps et sans doute plus encore une date qui marquera leur histoire.

"Je commencerai par exposer les raisons qui ont conduit les Français à s'affranchir de leur soumission au roi.

"Sachez que cette communauté (2) dans ses opinions est fondamentalement divisée en deux camps, à savoir les royalistes et les libéraux. Les premiers, fidèles au roi, professent que le pouvoir appartient au souverain sans que ses sujets ne puissent en rien s'y opposer Les seconds sont  partisans de la liberté, au nom de laquelle ils affirment que seule la loi est à prendre en considération. Selon eux, le roi ne doit exercer le pouvoir qu'en application de la loi, n'en étant pour ainsi dire que l'instrument. On constate que les deux points de vue sont assurément divergents, ce qui explique la désunion des Français en désaccord dans leurs opinions.

"La plupart des royalistes sont des prêtres et leurs fidèles et la plupart des libéraux se comptent parmi les philosophes, les savants, les intellectuels (3 ) et la majorité des sujets. Le camp des royalistes s'efforce de soutenir le souverain tandis que les libéraux cherchent à  l'affaiblir et à venir en aide aux  sujets. Au sein de ce deuxième camp, il y a un groupe important qui veut que le pouvoir dans sa totalité appartienne au peuple et estime qu'il n'est nul besoin de roi. Toutefois, du fait qu'il ne peut être à la fois gouvernant et gouverné, le peuple doit choisir en son sein ceux à qui il déléguera l'autorité. C'est le pouvoir de la république, comparable  à ce qui exista en Haute-Égypte à l'époque des Humamites (4) , à savoir une république fondée sur l'engagement mutuel du peuple et de ses dignes chefs.

"On distingue en France parmi les royalistes, les partisans du pouvoir royal absolu et ceux qui désirent un pouvoir royal assujetti à la loi. D'autres veulent l'instauration de la République. Déjà, en 1790, les Français s'étaient soulevés, avaient condamné à mort leur roi et leur reine puis instauré la république, chassant de Paris les membres de la famille royale dite des Bourbons après les avoir proclamés ennemis (de la Nation).

"L'état révolutionnaire s'est maintenu jusqu'en 1810 date à laquelle Bonaparte, appelé Napoléon, s'empara du pouvoir et se proclama empereur (5). Celui-ci multiplia les guerres et les conquêtes et sa puissance engendrant la crainte, les rois d'Europe se liguèrent contre lui pour l'abattre; Ils le chassèrent du pouvoir malgré l'amour que lui portaient les Français et rétablirent les Bourbons à leur place contre la volonté de la nation.













      



       Louis XVIII par Rubens


"Le premier (des Bourbons) à qui échut le pouvoir fut Louis XVIII. Pour attirer la bonne grâce du peuple vers son pouvoir et affermir celui-ci, le roi élabora une loi établissant entre lui-même et les Français un engagement mutuel fondé sur la consultation et le consentement. Cette loi fut appelée Charte et le souverain s'engagea à la respecter et à ne pas s'en affranchir. Nous avons déjà mentionné cette charte dans notre chapitre sur la politique des Français et il est indubitable que la promesse est au sage plus impérieuse encore que ce que l'engagement est au débiteur  (6).

"Il était stipulé que cette loi engageait le roi ainsi que ses successeurs sur le trône de France et que rien ne devait y être ajouté ou retranché sauf accord commun du roi, de la chambre des pairs et de la chambre des représentants du peuple sans exception. On a dit que le roi avait agi en cela contre la volonté de sa famille et de ses proches, qui voulaient exercer un pouvoir absolu sur les sujets du royaume. On a dit aussi qu'ils formèrent contre lui une ligue conduite par son propre frère (le futur) Charles-X (1757-1836). Mais le complot fur éventé et mis en échec. Lorsque Louis XVIII se fit vieux, (le futur) Charles-X tenta de lui faire abroger cette loi pour rétablir  l'exercice du pouvoir absolu, mais il n'y parvint pas.














  




     Charles X en costume de sacre


"Après la mort de son frère, Charles usant de ruse feignit d'abandonner son projet. Il autorisa chacun à manifester ses opinions dans les journaux sans imposer de révision préalable à l'impression ni à la diffusion. Les gens ajoutèrent foi à ses paroles et crurent qu'il ne trahirait pas ses promesses au point que tous ses sujets se réjouirent de sa conduite des affaires et de son respect des lois. Mais en fin de compte il en vint à violer ces mêmes lois, qui constituent le droit légitime des Français.

"Avant d'en arriver là, sa direction des affaires se limita à se soumettre aux avis du ministère de Polignac (7) dont la doctrine bien connue et la démarche reposaient sur l'affirmation que par essence l'autorité n'appartient qu'au roi.

"On a dit aussi que ce vizir était un enfant du péché, étant né d'une union de sa mère avec le roi, qui serait donc son propre père, connu en réalité pour son injustice et sa tyrannie (8). Or, un aphorisme très répandu ne dit-il pas que "l'iniquité des successeurs s'ajoute à celle du prédécesseur" et un autre encore: "qui dégaine le sabre de l'oppression voit dégainer contre lui le glaive de la victoire". (...)

















        Le Duc Jules de Polignac


"Alors qu'avant d'être Premier-Ministre (Polignac) n'était encore que le chargé d'affaires de France en Angleterre (9) toutes les atteintes à la doctrine libérale lui étaient imputées par les Français et lorsque la rumeur  de son retour en France se répandit ,  tous les gens se doutèrent que c'était pour y être investi de la charge du cabinet ministériel et modifier la loi. C'est pourquoi les chefs du courant libéral et avec eux la majorité des citoyens le détestèrent, convaincus que cette nomination était délibérément dirigée contre eux. Et cela se vérifia dans l'année qui suivit son investiture.

"Lors de la réunion annuelle de la Chambre des représentants des provinces, délégués des citoyens, on proposa au Roi qu'il écarte le premier-ministre et avec lui les six ministres de son cabinet. Le Roi ne les écouta pas. Or Il est de règle que la chambre prenne ses décisions à la majorité de ses membres. Ils étaient alors au nombre de quatre cent-trente pour débattre de la question des ministres. Parmi eux trois cents s'opposèrent au maintien des ministres à leur poste contre cent-trente favorables à leur maintien. La mise à l'écart des ministres était donc devenue une certitude pour la majorité. Or le roi souhaitait leur maintien pour le soutenir dans la mise en oeuvre de ses projets inavoués. Il les maintint donc et prit plusieurs ordonnances altérant la loi (10).

"Ce qui s'ensuivit ce fut (pour lui-même et ses partisans) la destitution et l'exil." (11)

Un poète a dit:

"Il ignorait en quoi la parole pouvait lui nuire
"Ni où pouvait son état le conduire
"Il lance son discours  tel qu'il le lance
"mais n'en a pas bien pesé les conséquences
"Il en est ainsi des discours imprudents
"comme de la compagnie des scélérats et des ignorants
"L'ignorant t'abaisse en disant t'élever

"et te porte tort en prétendant t'aider"

لم يدر مايجني عليه القول   ولا لماذا أمره يؤول
يلقي الكلام كيفما  آلقاه   لم يحسن الفكرة في عقباه
وهكذا التهوير في المقال   وصحبة الاشرار والجهال
 يخفضك الجاهل آني رفعك   يرديك وهو زاعم آن ينفعك



1) Il s'agit de la Révolution des 27, 28 et 29 Juillet 1830 qui porta Louis-Philppe d'Orléans, réputé libéral,  au pouvoir.
2) Tahtaoui emploie l'expression ta'ifa ( طائفة) , qui signifie plus généralement communauté de classe ou confessionnelle.
3) L'auteur emploie le mot Hukkam (حكّام) qui signifie les sages.
4) Allusion à une confédération de tribus d'origine berbère (Hawwara)  qui s'étaient choisi pour chef et par consensus le Cheikh suprême un certain Humam Sibik. Les Hawwara s'étaient installés en Haute-Égypte à la fin du 14-ème siècle. Puissants, ils furent influents à l'époque ottomane.
5) Tahtaoui écrit Sultan des Sultans سلطان السلاطين
وعد الكريم الزم من دين الغريم (6
7) Jules Auguste Armand Marie, duc de Polignac (1780-1847), partisan résolu du monarchisme absolu, fut premier ministre de Charles-X d'août 1829 à Juillet 1830.. Il fut ambassadeur à Londres de 1823 à 1829. Il y participa à l'élaboration du traité franc-russo-britannique qui aboutit à la libération de la Grèce du joug ottoman.
8) La rumeur courait depuis longtemps que sa mère Yolande de Polastron, qui fut la confidente de Marie-Antoinette et à qui les femmes de la cour  firent la pire des réputations, avait été la maîtresse de Charles, comte d'Artois et futur Charles X. Les historiens s'accordent généralement sur le fait qu'il ne s'agirait là que de ragots de cour. Il n'en reste pas mois que le roi avait pour lui une affection particulière.
9) Il était en fait ambassadeur (voir note 7)
10) Il dissout les chambres, modifie le mode électorale et abolit la liberté de la Presse.
11) Le roi en fait abdique. Il embarque aussitôt à Cherbourg pour  un exil qui le conduira en Ecosse puis en Autriche. Polignac, arrêté alors qu’il tentait de passer en Angleterre est traduit devant la Chambre des pairs et condamné à la prison perpétuelle et à la mort civile. Sa peine est commuée en vingt années de bannissement hors de France le 23 novembre 1836.

Publié dans Histoire

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