UN ÉGYPTIEN À PARIS (APPENDICE)

Publié le par Yaqzan

Sous Charles X et Louis-Philippe

 

 

L'École égyptienne de Paris


 Edmé François Jomard, le célèbre ingénieur géographe, ancien membre  de l'expédition scientifique qui accompagna Bonaparte dans sa campagne d'Egypte en 1798, publiait en 1828, dans  "le Nouveau Journal Asiatique", un article intitulé "Ecole égyptienne de Paris" . Cet article, consacré à la mission d'étude des jeunes égyptiens conduits par le Cheikh Rifaat at-Tahtaoui,  nous en dit beaucoup plus à leur propos que le cheikh lui-même, pratiquement muet à leur sujet (1).

Des étudiants arabes et osmanlis d'origines diverses

Il nous apprend notamment qu'entre ces quarante jeunes gens âgés de 15 à 29 ans, figuraient quatre arméniens chrétiens. Parmi les autres, tous musulmans, 18 étaient Égyptiens de naissance et le reste originaires de diverses régions de l'empire ottoman, Circassie, Roumélie,  Géorgie ou Grèce, outre Constantinople.

Jomard écrit: "Le public a été informé, en juillet 1826, du débarquement de quarante jeunes Égyptiens, envoyés en France par leur gouvernement pour y étudier les diverses branches de l'administration, des arts et de sciences (...) Ces jeunes gens sont distribués, depuis environ dix-huit mois, dans les meilleures pensions de la capitale et plusieurs suivent les cours élémentaires des collèges royaux (...)

L'auteur énumère les diverses spécialités entre lesquelles les étudiants furent répartis, à savoir l'administration civile, l'administration militaire, la navigation et la marine, la diplomatie, l'hydraulique, la mécanique, le génie militaire, l'artillerie, la fonderie de métaux et fabrication d'armes, la gravure et la typographie, les arts chimiques, l'agriculture, l'histoire naturelle et les mines et enfin la traduction (2).

Il écrit encore: " Les 28 février et  1-er  mars derniers, ils furent tous réunis dans un même lieu pour y être interrogés simultanément et subir un examen public (...) en présence d'une foule de personnes marquantes appartenant à la magistrature, à l'Université, à L'Institut,  à l'Armée et d'honorables étrangers (...)"

Un premier prix de composition française pour une rédaction où il est question de belles sans voile et de patinage sur la glace

 "La distribution des prix a eu lieu le 4 juillet dernier, à la maison centrale", ajoute Jomard, précisant qu'à cette cérémonie assistaient notamment le général comte Belliard, pair de France (3) et  divers orientalistes dont Garcin de Tassy (4) ainsi que le directeur de l'école d'état-major au Caire, m. Planat (5).

L'auteur rapporte que pour l'épreuve de rédaction on avait demandé aux jeunes gens de '"dépeindre, dans une lettre écrite  à un ami resté en Égypte, ce qui les avait le plus frappé en France", et il nous livre "fidèlement, dit-il, et en conservant les fautes de style" le texte qui a mérité à son auteur le prix de la composition française :

"Mon cher ami,

Dans votre dernière lettre, vous me rappeliez la promesse que je vous avais faite en quittant l'Égypte, de vous décrire tout ce que je verrais de plus remarquable en France.

"A peine avais-je débarqué sur le rivage de Marseille, que j'aperçus une foule de spectacles étrangers à ma vue. La première chose que j'ai remarquée, c'était la beauté des édifices de cette ville; ensuite la grande hauteur des maisons, les rues pavées larges et régulières; après quelques pas, j'entendis un bruit qui courait par-tout, et, dans le même moment je vis pour la première fois des voitures attelées de plusieurs chevaux rapides, et qui circulaient sans cesse dans la ville; et ente autres choses, ce qui me frappait le plus, ce fut de voir dans les rues, dans les lieux publics et dans les promenades, les dames françaises élégamment habillées, marcher librement et sans voile; chose contraire à nos lois et à nos usages.

"Lorsque je suis arrivé à Paris, on me mena dans des jardins magnifiques, où je vis tout le peuple se promener; ensuite dans des galeries immenses, où il y a les plus beaux tableaux qui ont été faits en France, et dans d'autres galeries où il y a les productions des arts et de l'industrie française. Je vais aussi de temps en temps visiter les théàtres, chose que vous ne comprendrez jamais sans la voir.


"Vous savez bien qu'on nous parlait beaucoup de la température de la France; je ne l'ai pas trouvé très-dure, et sur-tout cette année-ci, la douceur du temps m'a privé d'un spectacle amusant, c'est de voir patiner; il consiste en ce que les jeunes gens vont dans un endroit appelé glacière, et quand l'eau est fortement gelée, ils glissent tous sur la glace, avec une chaussure armée d'une barre de fer; et avec quelques mouvements, on les voit passer devant vous comme un éclair, et je vous assure que c'est un spectacle très-curieux".  (5)

 

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Patinage sur le bassin de la Villette (1811)

 "Les Modes de paris" par Octave Uzanne

 
Jomard nous parle ensuite du cheikh Tahtaoui: "On doit citer parmi les élèves les plus distingués, le cheykh Refa‘h, destiné à remplir l'emploi de traducteur, nécessaire pour faire jouir l'Égypte de nos ouvrages scientifiques, et la faire participer un jour aux avantages de nos institutions. Le cheykh commence déjà à remplir les vues de son gouvernement; il a traduit, avec succès, du français en arabe, un traité élémentaire de minéralogie. Cet ouvrage a été envoyé au Kaire pour être imprimé. C'est également lui qui a été chargé de mettre en arabe un almanach que nous avons rédigé pour l'an 1244 de l'Hégire, ouvrage qui pourrait exercer de 'influence sur la civilisation de l'Égypte et de la Syrie, s'il était publié exactement chaque année (lien par.3). Au reste le cheykh Refa‘h est un homme de lettré, qui ne réussira pas moins bien à traduire les livres d'histoire, de littérature et de morale".

 Edmé Jomard rapporte enfin le discours qu'il prononça à l'occasion de cette distribution des prix. Après avoir évoqué la campagne de Bonaparte en Egypte, où "une armée française  poursuivait  à-la-fois les triomphes guerriers et les conquêtes paisibles de la science", le savant déclarait: "Continuez, jeunes gens de parcourir une carrière non moins glorieuse.Votre sort est digne d'envie. Vous ètes appelés à opérer la régénération de votre patrie, événement d'où dépendra le sort de la civilisation de l'Orient (...) Puisez au milieu de a France, puisez à pleine source, ces lumières de la raison et des lettres, qui élèvent aussi haut l'Europe au dessus des autres parties du monde (...) L'Égypte, dont vous êtes les députés, ne fait, pour ainsi dire, que recouvrer ce qui lui appartient, et la France, en vous instruisant, ne fait qu'acquitter, pour sa part, la dette contractée par toute l'Europe envers les peuples de l'orient."

1) Jomard fut le principal éditeur de la fameuse "Description de l'Égypte" commandée par Bonaparte et qui rassemble les planches et textes produits par les scientifiques qui accompagnèrent le général dans son expédition militaire. Le Journal asiatique et un périodique orientaliste de la Société Asiatique publié depuis 1822. Son siège est situé au palais de l'Institut à Paris.
2) Rifa‘at at-Tahtaoui était  seul dans la section traduction.
3) Belliard, général et comte d'empire, accompagna Bonaparte dans son expédition d'Egypte. Pair de France, il fut aussi ambassadeur à Vienne et à Bruxelles.
4) Garcin de Tassy (1794-1878), fut ,avec Silvestre de Sacy, co-fondateur de la Société asiatique.
5) Jules Planat, ancien officier d'artillerie de la garde impériale de Napoléon, et chef d'état-major de l'armée de Méhémet Ali de 1824 à 1829.
6) C'est à coup sûr ce texte qui fut pastiché par un journal satirique (lien note .2)

Publié dans Histoire

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