UN ÉGYPTIEN À PARIS (26)

Publié le par Yaqzan

Sous Charles-X et Louis-Philippe



Les sciences et l'éducation, Paris carrefour du Savoir


Rifaat at-Tahtaoui joint le blâme à l'éloge



"Quiconque médite sur  l'état actuel des sciences, des arts, des lettres et de l'industrie à Paris peut constater que les connaissances humaines s'y sont étendues et y ont atteint un degré sans précédent au point qu'aucun savant des autres pays européens ou même  du passé,  ne saurait rivaliser avec les hommes de science de cette ville.


                   Institut de Fance, Académie

"Tout homme perspicace constate que dans tous les domaines des sciences expérimentales, les connaissances de ces savants ont atteint un degré de perfection fermement établi et indiscutable. En témoigne, selon certains des plus grands parmi eux, la qualité des réalisations nées de ces sciences tant en ce qui concerne leur finition que leur perfection et leur durabilité.

"Les savants français  ont une connaissance éminente de toutes les sciences théoriques. Ils ont toutefois quelques convictions philosophiques non admises dans les fondements rationnels d'autres nations mais ils les argumentent et exposent habilement sous un jour propre à en faire accréditer la véracité et la justesse.

" En astronomie, notamment, ils ont un savoir supérieur grâce à leur connaissance des principes des instruments connus depuis longtemps. D'une manière générale, cette connaissance des mécanismes instrumentaux leur est d'une grande utilité dans le domaine des industries.

Des discours philosophiques  dangereux

"Dans les sciences spéculatives ils tiennent des discours aberrants contraires aux enseignements des Livres Saints mais ils présentent une argumentation qu'il est difficile  pour le commun des hommes de contester. Il nous sera donné en son temps d'évoquer nombre de leurs innovations hérétiques si Dieu le veut. Mais disons pour l'instant que tous leurs livres de philosophie en sont remplis. Aussi, pour  approcher ces ouvrages faut-il être armé du principe énoncé par l'auteur du "Traité de du bon usage de la logique" (1-a). Ainsi est-il indispensable que quiconque désire se plonger dans la lecture en Français de quoique ce soit ayant un rapport  quelconque avec la philosophie, maîtrise les enseignements du Coran et de la Tradition prophétique afin d'éviter de se laisser abuser et d'en venir à renier sa foi et perdre sa vérité (1-b).

"J'ai écrit ces quelques vers pour tout à la fois louer et blâmer Paris:

"Existe-t-il comme à Paris des lieux
"Où les soleils de la science n'ont pas de coucher
"Et où le nuits de l'incroyance ne connaissent pas de matin
"N'est-ce pas là, dites-moi, chose bien étrange".

"أيوجد مثل باريس ديار   شموس العلم فيها لا تغيب
"وليل الكفر ليس له صباح   أما هذا وحقّكم عجيب"

La langue française, un outil pratique

"Les Français sont aidés dans leurs progrès scientifiques, artistiques et techniques par la simplicité de leur langue et de ses outils. Il n'est point nécessaire de beaucoup rabâcher pour l'apprendre et quiconque dispose de quelque saine disposition ou aptitude est capable en peu de temps de lire n'importe quel livre. Il n'y a rien d'obscur ni d'ambigu dans cette langue et si un maître veut faire étudier un ouvrage, il ne lui est absolument pas nécessaire d'en faire l'analyse du vocabulaire. Les mots s'expliquent d'eux-mêmes  contrairement à ce qui se passe en Arabe où le lecteur doit recourir à des outils linguistiques multiples pour préciser le sens des mots dans des expressions dont la signification n'est pas évidente.

"Il n'y a rien de tout cela en Français, dont les écrits ne nécessitent que de rares gloses et notes marginales. Il peut arriver que leurs auteurs ajoutent un discret commentaire pour mieux asseoir le sens d'une expression mais en général le contenu de tout ouvrage suffit par lui-même à la compréhension de son propos.

"Quiconque entreprend la lecture d'un livre de quelque science que ce soit, peut se donner tout entier à son étude sans perdre du temps  à disséquer les mots. Il peut ainsi mener à bien sa recherche exclusive sur l'objet de cette science, sa matière,  son concept et tout le produit qu'on peut en tirer. En dehors de cela tout est vain.

La passion du savoir dès l'enfance

"Le français est enclin par nature à la quête du savoir. Il aspire passionnément à tout connaître des choses. Sa connaissance est exhaustive.  Rien ne lui est étranger et dans la conversation, il parle en homme de science même s'il n'en est pas un. Ainsi voit-on les français se disputer dans de chaudes discussions sur des questions scientifiques profondes. Il en va de même pour leurs enfants, qui brillent dès leur plus jeune âge



 Lycée Bonaparte (actuellement Condorcet)

"Si vous interrogez un jeune à peine sorti de l'enfance sur son opinion à propos d'une chose ou d'une autre, il vous donne une réponse et jamais ne  vous dit 'je ne sais pas'. Juger fait partie de sa conception innée des choses. Les enfants français sont toujours prêts à apprendre. Leur éducation est  merveilleuse. En outre les français ont coutume de ne pas marier leurs enfants avant qu'ils n'aient achevé leurs études, ce qui veut dire généralement pas avant l'âge de vingt ou vingt-cinq ans. il est rare qu'à l'âge de vingt ans aucun d'entre eux n'ait atteint le niveau d'études ou d'apprentissage désiré, mais Il peut   lui falloir encore beaucoup de temps pour atteindre la maîtrise de son art. A cet âge (vingt ou vingt-cinq ans) l'homme apparaît en lui achevé, sous d'heureux auspices.

Un poète dit à ce propos:

"Qui échoue au premier pas
"ne peut espérer du deuxième un succès
"Si à vingt ans le jeune homme
"n'a pas atteint  son but, la honte lui échoit"

إذا ما أول الخطى آخطاء  فما يرجى لأخره إنتصار
إذا حاز الفتى عشرين عاماَ وما بلغ المراد فذاك عار


1) a/ Traité magistral du théologien algérien Abdel-Rahman al-Akhdari (1512-1575) justifiant l'usage instrumental de la logique rationnelle en théologie dans les limites de la stricte orthodoxie. Ce traité fait autorité jusqu'à aujourd'hui. b/ Tahtaoui emprunte l'argumentation du grand théologien et mystique  Al-Ghazali, connu en Occident médiéval sous le nom de Algazel (1058-1111), qui étudia la logique formelle aristotélicienne pour mieux la combattre mais en autorisa l'usage instrumental à qui reste indéfectiblement  attaché aux enseignements du Coran et de la Tradition prophétique (Sunna). Adversaire convaincu de la pensée philosophique de Farabi et Ibn Sina ( Avicenne), il peut être considéré comme l'agent principal du déclin culturel de l'islam et fut pour cela dénoncé par l'Andalou Ibn Rushd (Averroès), célèbre en Occident médiéval pour son commentaire d'Aristote. Ce que Tahtaoui reproche précisément aux français est leur rationalisme exclusif qui leur fait mépriser les dogmes religieux..

Publié dans Histoire

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article