ALGÉRIE ET PROSÉLYTISME ÉVANGÉLIQUE

Publié le par Yaqzan


Mise en perspective historique des rapports islamo-chrétiens



Les persécutions exercées contre les chrétiens en Algérie doivent , compte tenu de leurs répercussions dans l'opinion, être considérées  à partir d'une analyse historique minutieuse du statut des minorités en pays d'Islam.

En premier lieu, il convient de noter que cette attitude des autorités algériennes, par ailleurs soumises à la pression croissante de l'extrémisme islamique, est consécutive au développement considérable du prosélytisme des églises évangéliques, qui s'est étendu au monde entier, et plus récemment jusqu'en terre d'Islam, où l'imprégnation religieuse est très forte. Le mouvement évangélique distribue gratuitement des exemplaires de la Bible traduite dans  de multiples langues et notamment en Arabe et en Berbère. J'ai moi-même eu entre les mains l'Evangile selon Saint-Luc en langue kabyle.

D'une manière générale, la communauté islamique, qui s'estime détentrice de l'ultime message prophétique, n'a jamais toléré le prosélytisme d'autres religions en son sein. Il convient à cet égard de rappeler que l'apostasie du musulman est condamnée. Si, dans le Coran, cette condamnation ne relève que de la seule justice divine et non d'une sanction pénale (hadd) "ici-bas", cette dernière a  été plus tard introduite par les  théologiens les plus intransigeants, qui jugeaient que l'apostat, à moins qu'il ne vienne à résipiscence, était passible de lourdes peines y compris la peine de mort. A noter toutefois  que sous l'influence de théologiens réformistes éclairés comme le Cheikh égyptien Mohammed Abdou, (fin du XIX-ème siècle) les sanctions pénales pour apostasie sont devenue très rares et ont été totalement supprimées en Turquie dès1844.

Le statut juridique des non-musulmans en terre d'Islam a été très tôt élaboré par le Prophète lui-même dans le pacte qu'il conclût avec la communauté chrétienne de l'oasis de Najran en l'an X de l'Hégire. Aux termes de ce statut, les chrétiens étaient considérés comme des protégés (dhimmis) et jouissaient de larges libertés et notamment de la liberté de pratiquer leur culte et de posséder des biens. Par la suite d'autres dispositions allant dans un sens de plus en plus restrictif furent introduites, notamment la Convention du calife  Omar, deuxième successeur du Prophète. Cette succession d'amendements restrictifs aboutit à la soumission des non-musulmans, chrétiens ou juifs à l'impôt de capitation (djizya) et à des obligations diverses telles que le port de signes distinctifs (coiffure ou ceinture d'une couleur déterminée) * , l'interdiction de construire ou réparer des églises et lieux de cultes, de prendre un cheval pour monture, seul l'âne leur étant permis. Interdiction également de faire sonner les cloches et de manifester sa religion au grand jour.

Actuellement les minorités chrétiennes ou juives du proche-Orient arabo-musulman sont des communautés autochtones dont l'existence est antérieure à l'arrivée de l'Islam, c'est notamment le cas des chrétiens chaldéens en Irak, des chrétiens catholiques et grecs -orthodoxes en Syrie et des coptes en Egypte. Les juifs ne sont pratiquement plus présents dans ces pays ayant presque tous émigré en Israël. Les Chaldéens d'Irak, qui jouissaient de la protection du régime de Saddam Hussein -lequel ne dédaignait pas d'assister à la messe les jours de fête- sont actuellement l'objet de persécutions et s'exilent en masse.

Le cas du Liban se distingue de tous les autres et ce pour deux raisons. d'une part, les chrétiens, dont la communauté maronite, qui jouit d'un prestige national historique, constituent entre trente et quarante pour cent de la population. D'autre part, ils cohabitent avec des musulmans de communautés différentes et souvent rivales, à savoir chiite et sunnite, auxquelles s'ajoute la communauté druze, qui n'est pas à proprement parler musulmane, puisque issue d'un schisme  qui ne reconnaît pas la loi islamique (charia).

Le cas de l'Egypte doit retenir l'attention dans la mesure où la cohabitation des coptes, qui bénéficient d'un  statut personnel, et des musulmans est depuis des années émaillée d'affrontements parfois sanglants, comme tout récemment à Alexandrie. La situation s'est aggravée depuis la montée en puissance de l'intégrisme  de l'association des  "Frères Musulmans" et des groupes extrémistes. Plus généralement, les coptes sont de plus en plus l'objet de vexations et de provocations suscitées dans la population par l'omniprésence imprégnante d'un discours islamique totalitaire et l'éviction absolue de l'expression intellectuelle laïque dans les médias audio-visuels. Croyant que l'Islam était la meilleure arme contre l'islamisme, le pouvoir égyptien a de toute évidence fait fausse route.

Les affrontements armés entre les deux communautés sont plus fréquents en Haute-Egypte, où la concentration de la population copte est plus forte qu'ailleurs. Bien sûr, la vendetta y est une tradition et il y a parfois des conflits d'intérêts, mais les affrontements sont souvent provoqués par des musulmans qui veulent s'opposer à la construction ou la réparation d'une église ou d'une chapelle en vertu précisément des anciennes dispositions du statut juridique des minorités mentionnées plus haut.

En Egypte, les autorités ottomanes avaient pris à ce sujet un firman (khatt humayouni) aux dispositions  relativement libérales mais qui fut amendé dans un sens restrictif en 1924 par les autorités égyptiennes à l'initiative d'un député. A ma connaissance, ce firman est toujours en vigueur et toute construction ou réparation d'un lieu de culte chrétien est soumis à une autorisation préalable difficile sinon impossible à obtenir. D'autre part, l'accès des coptes aux responsabilités dans l'administration publique ou l'armée leur est restreint.


Allant encore plus loin dans la discrimination à l'égard de la communauté  copte, les mouvements extrémistes réclamaient encore récemment qu'elle soit comme dans un passé révolu assujettie  à l'impôt de capitation (djizya) et privée du droit d'accès à  l'armée.

Pour toutes ces raisons, les coptes émigrent en assez grand nombre aux Etats-Unis ou en Australie.

A noter que lorsqu'un copte embrasse l'Islam pour pouvoir épouser une musulmane, il est  souvent rejeté par sa famille, laquelle porte son deuil.

Pour son caractère exceptionnel et à titre de curiosité, on citera le cas de la Syrie où, alors que l'immense majorité de la population est sunnite,  le pouvoir depuis l'avènement du régime de Hafez El-Assad est tout entier entre les mains d'une petite minorité religieuse, celle des Alaouites ou Nusayris, établis dans le nord-est du pays. C'est une secte d'origine ismaélienne  qui, comme celle des Druzes -également présents dans ce pays- ne reconnaît pas la loi islamique et dont l'appartenance à l'Islam est à ce titre contestée.

lI convient également de citer le cas du bahaïsme, religion à caractère humaniste universaliste issu du chiisme et dont les adeptes son l'objet de persécutions en Iran ainsi que dans le monde arabo-musulman, notamment en Egypte.

En Algérie, où ll n'y a pas de communauté chrétienne autochtone enracinée de longue date comme au Proche-Orient. Il y a eu par le passé quelques rares conversions dont les plus célèbres sont celles de la famille de l'écrivain kabyle Jean el-Mouhoub Amrouche, de sa mère Fadhma Ait Mansour et de sa soeur Marie-Louise Taos, femme de lettres et chanteuse de langue kabyle.

Il y a actuellement, sous l'impulsion nouvelle des églises évangéliques, un mouvement de conversion au christianisme au Maghreb et plus particulièrement en Algérie. Compte tenu  du  contexte historique exposé dans cet article, les poursuites dont les chrétiens sont victimes dans ce pays ne peuvent s'expliquer que par  la conjonction de deux facteurs. D'une part, dans le climat d'imprégnation religieuse existant, le prosélytisme chrétien peut être ressenti comme une agression, une intrusion dans l'intimité communautaire, provoquant un réflexe épidermique d'auto-défense. D'autre part, il y a soumission évidente du pouvoir à l'emprise du mouvement islamiste.

*
Dans un traité d'inspection des métiers et des moeurs (Hisba) hispano-musulman du XII-ème siècle, on peut lire ce passage curieux: "On ne doit laisser personne parmi les gabelous, les agents de police, les Juifs et les Chrétiens  se revêtir à la manière des gens de haute classe, des juristes et des hommes de bien. Il faut au contraire les abominer,  les fuir et ne pas leur adresser le salut car ils constituent le parti de Satan ... Il faut leur imposer le port d'un signe distinctif, marque de leur ignominie".

 أولائك حزب الشيطان  ... ويجب  آن تكون لهم علامة يعرفون بها على سبيل خزيهم


Publié dans religions

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article