MARINE LE PEN, RETOUR SUR IMAGE
L'extrême droite et l'extrême gauche ont en commun le fait de mettre des paroles sur la musique du peuple. Ce qui les sépare c'est que la première est nationaliste , cloîtrée étriquée dans son pré carré, et la seconde internationaliste, ouverte à l'universel. Entre les deux c'est le tango vacillant des identités incertaines.
Une illustration de l'indigence du débat politique
Les réactions de la plus grande partie de la classe politique et de la presse aux propos tenus par Marine Le Pen dans la dernière émission "À vous de Juger" et les jours suivants à Lyon et à Lille ont escamoté le débat politique qu'ils auraient mérité de provoquer et témoignent de l'indigence du débat politique dans notre pays.
L'anathème n'est certainement pas le meilleur moyen de lutter contre le Front National bien au contraire. Dans l'émission d'Arlette Chabot, seul Alain Duhamel a débattu de politique, mettant d'ailleurs son interlocutrice en position inconfortable en matière d'économie.
Pour le reste, la classe politique et la presse n'ont retenu que le mot "occupation" prononcé par Mme Le Pen à propos de l'usage de l'espace public pour la prière musulmane du vendredi, y voyant sans le moindre début d'hésitation une allusion à l'occupation de la France par les Allemands, ce qui parait a priori comme un procès d'intention. Cette question de l'utilisation de la rue pour la prière interpelle tout le monde et mérite d'être analysée avec sérénité sous tous ses aspects. Les riverains non-musulmans de la rue Myrrha, dans le 18ème arrondissement de Paris, se plaignent à juste titre des inconvénients de cette situation et il faut bien convenir qu'il y a dans cette pratique une occupation de l'espace public par une communauté précise pour son usage particulier.
Toutefois, cette situation exige d'être considérée dans ses tenants et aboutissant par les pouvoirs publics et les instances islamiques pour la recherche d'une solution qui soient satisfaisante pour tous.
Faisant ce constat, Benoît Hamon a déclaré qu'il fallait "libérer" l'espace public. Là encore sans le moindre début d'hésitation, certains commentateurs ont fait le rapport avec la libération de la France et qualifié de "dérapage" la déclaration du porte-parole du PS. Tout cela témoigne d'une légèreté pour ne pas dire stupidité navrante. Faudra-t-il effacer du dictionnaire les mots "Occupation" et "Libération" ? On nage en plein burlesque.
Il semblerait que ce procès en lèse-Islam fait à Mme Le Pen ait permis à la classe politique de ne pas se risquer à débattre du constat que la dirigeante du FN a dressé chez Mme Chabot quant à la situation économique et sociale désastreuse de notre pays ni de ses idées concernant la place de la France dans l'Europe, la mondialisation, l'Euro, l'immigration. On peut la suivre ou la combattre mais au lieu de se limiter à l'anathème avec le slogan "derrière la Fille transparaît l'image du père" il aurait été plus utile de réagir sur le fond et proposer au moins des esquisses de solution.
À cet égard j'ai noté un détail des propos de Mme Le Pen qui explique sans doute pourquoi la classe politique ne veut pas débattre. Elle affirme notamment que les sociaux-démocrates du PS et l'UMP ne proposent aux Français que d'adapter le pays à la mondialisation, qu'ils considèrent comme une fatalité incontournable, au lieu de chercher à s'en émanciper. Il est intéressant de noter que sur ce point , Arnaud Montebourg, candidat aux primaires du PS, a émis récemment des idées allant dans le sens d'une émancipation, sur le plan industriel notamment, en suggérant la mise en place d'un capitalisme coopératif et mutualiste avec une participation active des travailleurs dans la gestion de l'entreprise.
Concernant l'immigration dont tout le monde s'accorde à reconnaître que sa gestion constitue un problème majeur, Mme Le Pen la présente à la lumière de la crise économique et sociale que subit notre pays: chômage massif, déficit abyssal des comptes sociaux, manque de logements, manque de crèches, extrême pauvreté avec difficulté d'accès aux soins médicaux, paupérisation croissante de la classe moyenne dont la situation va encore s'aggraver avec le nouveau budget voté par le parlement..
Conformément aux principes de son parti et considérant que l'immigration produit un effet aggravant, Mme Le Pen exige que la préférence nationale soit établie par la loi en matière de prestations sociales . Il n'en reste pas moins que le constat qu'elle dresse est bien conforme à la réalité et que le citoyen lambda de la petite classe moyenne, payant des impôts et ne pouvant prétendre à aucune aide sociale malgré les difficultés croissantes qu'il rencontre, pourra être tenté de suivre le FN. La question mérite attention quand on sait qu'au cours de l'histoire, la paupérisation de la classe moyenne s'est toujours traduite par une montée de la xénophobie et du racisme et, dans le cas de l'Allemagne notamment, par l'arrivée du nazisme au pouvoir.
Voilà ce sur quoi la classe politique et la presse auraient dû faire porter leurs commentaires au lieu de s'occuper de "dérapages" et autres considérations stériles. Il est vrai qu'aujourd'hui les médias préfèrent parler des jeux politiques plutôt que de politique, se livrant à d'interminables bavardages sur le sujet de savoir qui sera ou ne sera pas candidat aux primaires du PS ou à la prochaine présidentielle.