EGYPTE, QUELLE DÉMOCRATIE ? (Perspective)

Publié le par Yaqzan


Le triomphe de l'association des frères Musulmans *

L'onde de choc de la révolution tunisienne a fait les égyptiens envahir les rues du Caire et d'autres villes non plus seulement pour réclamer une vie meilleure mais aussi pour exiger le départ du président Moubarak jugé responsable de leurs frustrations.

Le tour politique ainsi donné à ces émeutes est un phénomène nouveau de toute évidence inspiré par l'exemple de l'expulsion du président tunisien zin-el-Abidine ben Ali. En 2008, il y eut au Caire, à Alexandrie et ailleurs la "révolte du pain", provoquée par l'augmentation des prix, la baisse des subvention des produits de première nécessités et les méfaits des spéculateurs, mais la légitimité du président Moubarak ne fut pas contestée pour autant.

Par le passé, également, les Égyptiens se servaient de leur humour légendaire comme exutoire à leur frustrations et pour dénoncer la corruption des fonctionnaires et parlementaires, le clientélisme du parti officiel, la fraude électorale, l'affairisme, la  spéculation. Le président lui-même était l'objet de blagues jamais hostiles comme celle le comparant à la "Vache qui rit" du fameux fromage, en raison d'une certaine ressemblance. Il est évident que le caractère politique des événements actuels a été inspiré par l'exemple tunisien et il est certain que le mot d'ordre a été amplifié et généralisé par les activistes de la mouvance des Frères Musulmans, suffisamment habiles pour se faire discrets.

 

Muslim brotherhood 1


Ce qui se passe aujurd'hui est donc inédit. Les Occidentaux appellent au départ du président pour une transition vers l'établissement d'une démocratie de type occidental comme s'il s'agissait d'un produit exportable.


radicalisation de l'activisme l'Islamisme


Mohammed Hosni Moubarak succéda en 1981 à Anouar el-sadate, assassiné par des militaires islamistes pour avoir fait la paix avec Israël. L'état d'urgence fut instauré et régulièrement reconduit jusqu'à ce jour en raison de la menace des groupes islamistes radicaux issus de la mouvance de Frères Musulmans, comme le "takfir wa-l-Hijra" de Sayyid Qotb. Dès le début de son mandat, le président Moubarak adopta néanmoins une "voie médiane", une "démocratie sous surveillance" laissant libre cours à une presse pluraliste et à l'existence de partis d'opposition, libéraux ou nassériens. L'existence de l'association des Frères Musulmans, interdite officiellement fut tolérée et certains de ses membres intégrèrent  le parti Wafd pour se faire élire au parlement.


La parole laïque étouffée au profit du discours islamique souverain


Le régime de Moubarak, utilisant l'autorité de l'université islamique El-Azhar, phare universel de l'ortodoxie sunnite, crut bon d'utiliser l'Islam contre l'islamisme. Ce fut une fiuneste erreur, Le discours islamique omniprésent à la télévision et à hautes doses dans les programmes scolaires, étouffa toute expression laïque et ouvrit une voie royale à l'association des Frères Musulmans.

Ces derniers imprégnèrent la société civile et surtout les classes populaires de leur enseignement rétrograde.


Le retour des assassins


Sur ce terreau, les groupes islamistes terroristes se sont développés. En 1990, le président du parlement fut assassiné au Caire, l'écrivain laïque militant Farag Foda subit le même sort. Le prix Nobel de littérature Naguib Mahfouz survécut à une tentative d'éorgement dans une rue du centre du Caire. En 1997, plus de cinquante touristes étaient assassinés à Louxor.Le président Moubarak lui-même fut la cible de deux attentats. Avant de parler de dictateur ou de despote à son propos comme certains commentateurs s'y laissent aller, il faudrait sans doute prendre tous ces faits en compte. Moubarak n'est pas Ben Ali et Suzanne Moubarak n'est pas Leïla Trabelsi.

Construire une démocratie telle que nous la concevons, suppose des élections libres auxquelles participeraiejt tous les partis y compris ceux de l'opposition au régime de Moubarak. Or, où est l'opposition?

 

L'Islam Religion et état


L"opposition laïque est inexistante, dépourvue de base populaire. Et force est de constater que l'association des Frères musulmans constitue la seule opposition crédible en raison de sa forte implantation populaire et de son réseau d'entraide sociale extrèmement actif. Faudra-t-il donc admettre l'établissement d'un régime démocratique avec le concours d'une association dont les slogans bien connus sont "l'Islam est la solution" et "l'Islam est à la fois religion et état". Autrement dit admettre un partenaire dont l'objectif à terme est de substituer la Loi coranique (Sharia) au droit positif. Ceux qui aujourd'hui s'enthousiasment devant l'idée d'une "genèse  démocratique arabe" née un jour de janvier à Tunis devraient comprendre que leurs valeurs qu'ils croient légitimement universelles n'ont pas cours sous tous les cieux.

 

Les données géostratégiques


Mais un élément et non le moindre vient compliquer encore la situation en Egypte. Sous la présidence de Hosni Moubarak, cet état, qui a été le premier du monde arabe à reconnaître Israël a été un élément géostratégique de première importance dans la recherche dune solution  au conflit israélo-palestinien. Le président égyptien s'est activement et personnellement impliqué dans ce processus s'attirant l'hostilité de ceux de ses compatriotes solidaires du peuple palestinien et surtout des activistes islamistes et notamment des Frères musulmans alliés du mouvement Hamas. Si le gpuvernement israélien ne s'était pas délibérément cloîtré dans son intransigeance les compatriotes du président Moubarak lui auraient sans doute su gré de son action.

Aujourd'hui désavoué par la rue, Hosni Moubarak est abandonné par Washington, qui lui cherche un successeur susceptible de bénéficier d'un consensus national dans lequel il faudra compter nécessairement avec l'armée, pilier central de l'état égyptien. Une armée qui ne renoncera certainement pas  à ses privilèges. Véritable état dans l'état, l'armée égyptienne est propriétaire de biens fonciers considérables, complexe agricole et industriel doté de ses propres coopératives, elle produit même pour l'exportation. Ses exploitations agricoles sont implantées sur des terres gagnées sur le désert selon des méthodes inspirées du modèle israélien. J'ai eu le privilège de visiter un jour ces "soldats laboureurs" entre le Caire et Alexandrie.

 

Les Coptes?

 

Enfin, quelle sera la place des Coptes dans la démocratie à construire? Auront-ils voix au chapître; seront-ils libérés de leur situation de citoyens de seconde zone, abolira-t-on le fameux "Khatti-humayoun", décret qui rend pratiquement impossible la construction ou la restauration de leurs églises et autres édifices religieux? On a beaucoup parlé d'eux lors du massacre dont cinquante d'entre eux ont été vicitimes récemment à Alexandrie. Il serait temps de raviver les mémoires et de cesser de laisser des imams déments dresser la population musulmane contre ses  concitoyens chrétiens , égyptiens parmi les Égyptiens. La démocratie n'admet pas la discrimination. 


* Les Frères Musulmans ne sont pas une confrérie mais une association politico-religieuse. Le mot "confréries" désigne les différents courants mystiques (soufis). Le nom officiel des Frères est en Arabe "Jamaat al-Ikhwan al-Muslimin" (Association des Frères Musulmans).



Publié dans Egypte

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