UN ÉGYPTIEN À PARIS (50)
Sous Charles X et Louis-Philippe
Le cheikh Rifa’at at-Tahtaoui poursuit son récit des événements de juillet 1830
Des décisions de l'Assemblée et comment le mouvement révolutionnaire aboutit à l'accession du duc d'Orléans au trône de France.
L'auteur découvre la droite, le centre et la gauche parlementaires
"Sachez que l'Assemblée délibère des mesures concernant le devenir de la France. Or, comme nous l'avons déjà évoqué, les Français ont des opinions différentes. Celles-ci se traduisent dans l'Assemblée elle-même par l'emplacement de ses membres. Ainsi, les royalistes siègent du côté droit et les libéraux du côté gauche tandis que ceux qui professent les opinions du gouvernement siègent au centre.
"Chacun y exprime son opinion sans que quiconque y fasse obstacle car l'important est que le plus grand nombre de voix se fassent entendre. Et cela est resté en l'état jusqu'à maintenant, la révolution n'y ayant elle-même rien changé.
"Il y avait deux fractions (au sein de l'Assemblée), celle des tenants de la royauté et celle des partisans de la république. Au sein de la première fraction certains voulaient l'accession au trône du duc de Bordeaux, petit-fils du souverain précédent. D'autres étaient partisans du fils de Napoléon, c'est-à-dire Bonaparte et d'autres encore soutenaient le duc d'Orléans, alors lieutenant-général du Royaume. La famille d'Orléans était considérée comme la deuxième héritière du Royaume après la disparition de l'aînée, la famille de Bourbon.

Henri , Duc de Bordeaux
"C'est alors qu'une feuille imprimée fut affichée dans tous les quartiers et voies publiques (1) . Il y était écrit: 'L'expérience a montré, que la république ne convient pas à la Nation française L'investiture du duc de Bordeaux replacerait la France sous la domination des Bourbons dont elle vient tout juste de se libérer. Le fils de Napoléon tient son éducation des prêtres, dont ont sait qu'ils sont les ennemis de la liberté. Donc désignation du d'Orléans.'

Napoléon II
"L'Assemblée a élaboré une certain nombre d'articles sur lesquels elle a arrêté son opinion.
"Article premier: Le pouvoir est physiquement et moralement vacant. Personne n'a le droit d'en user et il s'impose que quelqu'un en soit investi.
"Article deuxième: Il est du désir et des intérêts des Français de supprimer toutes les dispositions outrepassant la Charte, qui est l'expression des lois du Royaume. Leur maintien avilirait le statut du citoyen français. Il est donc nécessaire de supprimer de la Charte plusieurs articles impropres et de les remplacer par d'autres convenant aux exigences de la situation présente.
"Cela fait, le bureau de l'assemblée des représentants du peuple demande, dans l'intérêt public nécessaire dès maintenant au Français de prier son excellence le Duc d'Orléans, Louis-Philippe, Lieutenant-Général du Royaume, d'être le Roi, et que sa royauté, après lui, soit transmise par hérédité à sa descendance mâle en commençant par l'aîné de ses enfants et ainsi de suite.

Lecture de la proclamation des députés
"Il lui sera demandé d'accepter le pouvoir royal ainsi que les conditions de son intronisation établies par le bureau de l'Assemblée. Il portera le titre de Roi des Français et non pas celui de Roi de France. La différence réside dans le fait que le Roi des Français tient son autorité de ceux qui l'ont fait roi alors que Roi de France signifie que le souverain règne en maître sur la terre de France tant que celle-ci existe et ne peut être contesté par quiconque dans son pays.

Louis-Philippe et Lafayette
au balcon de l'Hôtel de Ville
Le cheikh Rifa‘at disserte sur la différence entre Roi de France et Roi des Français
"Ainsi, par le passé, le Roi écrivait: "Moi, untel, par la grâce de Dieu tout puissant, roi de France et de Navarre, à qui lira les présents commandements salut, nous avons décidé et ordonnons ce qui suit ...
"L'expression Roi de France est évidente alors que Roi de Navarre est un titre conventionnel purement honorifique. La raison en est qu'autrefois les rois de France régnaient sur le royaume de Navarre qui est passé par la suite aux rois d'Espagne. Toutefois le titre est resté au roi de France.
"Quant au roi des Français, il rédige ses ordres de la manière suivante: Moi, untel, roi des Français, adresse mon salut à vous ici présents et mande et commande etc. La différence entre l'expression du premier et celle du second réside dans le fait que celui-là se pose en roi de France et de Navarre par la grâce de Dieu (qu'il soit loué et exalté) tandis que celui-ci se présente en roi des Français sans ajouter que c'est par la faveur de Dieu. Il s'abstient de cette expression pour satisfaire les Français, lesquels le veulent roi de par la volonté du peuple qui l'a fait roi.
Tahtaoui, bon Musulman, imagine mal que l'on puisse ignorer la volonté divine
"Il n'en reste pas moins que cette qualité particulière a été attribuée par Dieu (qu'il soit loué et exalté) à sa famille sans que le peuple ait eu de quelque manière à en connaître.
"L'expression par la grâce de Dieu signifie que le roi tient sa condition de droit de par sa naissance et son ascendance de même que l'expression roi de France signifie que le souverain est maître de la terre de France, sur laquelle il exerce son pouvoir.
"Mais pour nous (n.d.t. les Arabes) il n'y a pas de différence entre les deux titres.. que le roi tienne sa souveraineté de la volonté du peuple n'est pas contradictoire avec le fait que cela émane de Dieu (qu'il soit exalté) dans la manifestation de sa grâce et de sa bonté. Ainsi, par exemple, nous ne faisons aucune différence entre Roi de tel peuple non-arabe et roi de tel pays non-arabe (2).
Après cette longue digression, le cheikh Rifa‘at revient à l'événement politique et nous livre la réponse du duc d'Orléans, Louis-Philippe, aux membres de la Chambre qui venaient de décider de le choisir pour roi des Français: 'J'ai entendu le coeur rempli d'émotion le compte-rendu de vos propositions me concernant et votre décision de me choisir pour roi et il est vrai pour moi que votre expression est aussi l'expression du peuple. Il m'est apparu que ce que vous avez élaboré concernant la Loi correspond à la conduite politique qui a été la mienne tout au long de ma vie. Cela m'a profondément ému car je n'ai pas oublié les tourments que j'ai endurés par le passé au point que j'avais résolu de ne plus jamais prétendre à quelque pouvoir politique que ce soit et décidé de me retrancher dans une vie paisible auprès de ma famille. Cependant, mon amour pour la prospérité de mon pays l'a emporté et conduit mon choix, convaincu que la nécessité l'imposait.'
Il fixa alors la date de son intronisation. (3)
(suite de cet épisode dans le prochain article de la série)
(1) Cette affiche avait été rédigée et diffusée à l'initiative de Jacques Laffitte et Adolphe Thiers , orléanistes convaincus et partisans d'une monarchise constitutionnelle, pour devancer les manoeuvres républicaines et bonapartistes. Le cheikh ne dit mot des bruyantes manifestations hostiles des représentants de ces deux mouvements.
2) Tahtaoui utilise le terme al-‘ajam qui désigne les peuples ne parlant pas l'Arabe, en quelque sorte l'équivalent du barbaros des Grecs. Il était le plus souvent utilisé pour désigner les Persans.
3) Le 9 août 1930. Mais Tahtaoui ne le précise pas.
Le cheikh Rifa’at at-Tahtaoui poursuit son récit des événements de juillet 1830
Des décisions de l'Assemblée et comment le mouvement révolutionnaire aboutit à l'accession du duc d'Orléans au trône de France.
L'auteur découvre la droite, le centre et la gauche parlementaires
"Sachez que l'Assemblée délibère des mesures concernant le devenir de la France. Or, comme nous l'avons déjà évoqué, les Français ont des opinions différentes. Celles-ci se traduisent dans l'Assemblée elle-même par l'emplacement de ses membres. Ainsi, les royalistes siègent du côté droit et les libéraux du côté gauche tandis que ceux qui professent les opinions du gouvernement siègent au centre.
"Chacun y exprime son opinion sans que quiconque y fasse obstacle car l'important est que le plus grand nombre de voix se fassent entendre. Et cela est resté en l'état jusqu'à maintenant, la révolution n'y ayant elle-même rien changé.
"Il y avait deux fractions (au sein de l'Assemblée), celle des tenants de la royauté et celle des partisans de la république. Au sein de la première fraction certains voulaient l'accession au trône du duc de Bordeaux, petit-fils du souverain précédent. D'autres étaient partisans du fils de Napoléon, c'est-à-dire Bonaparte et d'autres encore soutenaient le duc d'Orléans, alors lieutenant-général du Royaume. La famille d'Orléans était considérée comme la deuxième héritière du Royaume après la disparition de l'aînée, la famille de Bourbon.

Henri , Duc de Bordeaux
"C'est alors qu'une feuille imprimée fut affichée dans tous les quartiers et voies publiques (1) . Il y était écrit: 'L'expérience a montré, que la république ne convient pas à la Nation française L'investiture du duc de Bordeaux replacerait la France sous la domination des Bourbons dont elle vient tout juste de se libérer. Le fils de Napoléon tient son éducation des prêtres, dont ont sait qu'ils sont les ennemis de la liberté. Donc désignation du d'Orléans.'

Napoléon II
"L'Assemblée a élaboré une certain nombre d'articles sur lesquels elle a arrêté son opinion.
"Article premier: Le pouvoir est physiquement et moralement vacant. Personne n'a le droit d'en user et il s'impose que quelqu'un en soit investi.
"Article deuxième: Il est du désir et des intérêts des Français de supprimer toutes les dispositions outrepassant la Charte, qui est l'expression des lois du Royaume. Leur maintien avilirait le statut du citoyen français. Il est donc nécessaire de supprimer de la Charte plusieurs articles impropres et de les remplacer par d'autres convenant aux exigences de la situation présente.
"Cela fait, le bureau de l'assemblée des représentants du peuple demande, dans l'intérêt public nécessaire dès maintenant au Français de prier son excellence le Duc d'Orléans, Louis-Philippe, Lieutenant-Général du Royaume, d'être le Roi, et que sa royauté, après lui, soit transmise par hérédité à sa descendance mâle en commençant par l'aîné de ses enfants et ainsi de suite.

Lecture de la proclamation des députés
"Il lui sera demandé d'accepter le pouvoir royal ainsi que les conditions de son intronisation établies par le bureau de l'Assemblée. Il portera le titre de Roi des Français et non pas celui de Roi de France. La différence réside dans le fait que le Roi des Français tient son autorité de ceux qui l'ont fait roi alors que Roi de France signifie que le souverain règne en maître sur la terre de France tant que celle-ci existe et ne peut être contesté par quiconque dans son pays.

Louis-Philippe et Lafayette
au balcon de l'Hôtel de Ville
Le cheikh Rifa‘at disserte sur la différence entre Roi de France et Roi des Français
"Ainsi, par le passé, le Roi écrivait: "Moi, untel, par la grâce de Dieu tout puissant, roi de France et de Navarre, à qui lira les présents commandements salut, nous avons décidé et ordonnons ce qui suit ...
"L'expression Roi de France est évidente alors que Roi de Navarre est un titre conventionnel purement honorifique. La raison en est qu'autrefois les rois de France régnaient sur le royaume de Navarre qui est passé par la suite aux rois d'Espagne. Toutefois le titre est resté au roi de France.
"Quant au roi des Français, il rédige ses ordres de la manière suivante: Moi, untel, roi des Français, adresse mon salut à vous ici présents et mande et commande etc. La différence entre l'expression du premier et celle du second réside dans le fait que celui-là se pose en roi de France et de Navarre par la grâce de Dieu (qu'il soit loué et exalté) tandis que celui-ci se présente en roi des Français sans ajouter que c'est par la faveur de Dieu. Il s'abstient de cette expression pour satisfaire les Français, lesquels le veulent roi de par la volonté du peuple qui l'a fait roi.
Tahtaoui, bon Musulman, imagine mal que l'on puisse ignorer la volonté divine
"Il n'en reste pas moins que cette qualité particulière a été attribuée par Dieu (qu'il soit loué et exalté) à sa famille sans que le peuple ait eu de quelque manière à en connaître.
"L'expression par la grâce de Dieu signifie que le roi tient sa condition de droit de par sa naissance et son ascendance de même que l'expression roi de France signifie que le souverain est maître de la terre de France, sur laquelle il exerce son pouvoir.
"Mais pour nous (n.d.t. les Arabes) il n'y a pas de différence entre les deux titres.. que le roi tienne sa souveraineté de la volonté du peuple n'est pas contradictoire avec le fait que cela émane de Dieu (qu'il soit exalté) dans la manifestation de sa grâce et de sa bonté. Ainsi, par exemple, nous ne faisons aucune différence entre Roi de tel peuple non-arabe et roi de tel pays non-arabe (2).
Après cette longue digression, le cheikh Rifa‘at revient à l'événement politique et nous livre la réponse du duc d'Orléans, Louis-Philippe, aux membres de la Chambre qui venaient de décider de le choisir pour roi des Français: 'J'ai entendu le coeur rempli d'émotion le compte-rendu de vos propositions me concernant et votre décision de me choisir pour roi et il est vrai pour moi que votre expression est aussi l'expression du peuple. Il m'est apparu que ce que vous avez élaboré concernant la Loi correspond à la conduite politique qui a été la mienne tout au long de ma vie. Cela m'a profondément ému car je n'ai pas oublié les tourments que j'ai endurés par le passé au point que j'avais résolu de ne plus jamais prétendre à quelque pouvoir politique que ce soit et décidé de me retrancher dans une vie paisible auprès de ma famille. Cependant, mon amour pour la prospérité de mon pays l'a emporté et conduit mon choix, convaincu que la nécessité l'imposait.'
Il fixa alors la date de son intronisation. (3)
(suite de cet épisode dans le prochain article de la série)
(1) Cette affiche avait été rédigée et diffusée à l'initiative de Jacques Laffitte et Adolphe Thiers , orléanistes convaincus et partisans d'une monarchise constitutionnelle, pour devancer les manoeuvres républicaines et bonapartistes. Le cheikh ne dit mot des bruyantes manifestations hostiles des représentants de ces deux mouvements.
2) Tahtaoui utilise le terme al-‘ajam qui désigne les peuples ne parlant pas l'Arabe, en quelque sorte l'équivalent du barbaros des Grecs. Il était le plus souvent utilisé pour désigner les Persans.
3) Le 9 août 1930. Mais Tahtaoui ne le précise pas.