UN ÉGYPTIEN À PARIS (40)
Sous Charles-X et Louis-Philippe
Rifa‘at at-Tahtaoui prend note des commentaires des orientalistes sur son ouvrage et nous parle de sa rencontre avec un certain Saladin
Rifa‘at at-Tahtaoui prend note des commentaires des orientalistes sur son ouvrage et nous parle de sa rencontre avec un certain Saladin
"Comparant les commentaires faits de mon ouvrage par MM. Sylvestre de Sacy et Caussin de Perceval je constate qu'ils sont d'accord pour en reconnaître la qualité et la simplicité de son style dépourvu de fioritures comme ils sont d'accord pour considérer qu'il sera utile aux Égyptiens.
"Cependant, m. de Sacy estime que mon travail pèche sur trois points, à savoir que:
1°)Il contient sur quelques questions des considérations d'inspiration islamique.
2°) Il étend à l'ensemble de la France mes observations concernant Paris.
3°) Il contient des éléments sans utilité concernant mon avis quant à la supériorité de la forme circulaire sur toutes les autres formes géométriques.
"S'il ne conteste par ce que m. de Sacy à noté concernant mes considérations d'inspiration islamique sur certaines questions, M. de Perceval m'a confié lors d'une conversation qu'il n'y voyait rien de mal puisque je n'avais fait qu'écrire en accord avec mes convictions alors que si j'avais suivi ou approuvé l'opinion des Européens concernant notamment la pudeur, j'aurais fait preuve d'hypocrisie.
"S'agissant de la simplicité du style de mon ouvrage, M. De Perceval comme M. de Sacy entendent par ce mot que mon propos n'était pas de faire montre d'éloquence. Pour les savants français, simplicité et éloquence vont de pair.
Tahtaoui nous parle ensuite d'un homme avec lequel il s'était "lié d'une solide amitié". "J'ai fait sa connaissance, écrit-il, dans son bureau où j'étais venu consulter les gazettes, ces feuilles qui rapportent les nouvelles quotidiennes. Cet homme était huissier (1) au Ministère des Finances et son frère, préfet d'un département (2), c'est-à-dire d'une des régions de France. Il était issu d'une grande lignée dite "Saladine" (3) remontant, selon les gens de cette famille, au Sultan Salaheddine El-Ayyoubi, qui, pendant la guerre qu'il mena contre les Francs, se serait épris d'une Française. Celle-ci, devenue grosse de ses oeuvres, serait retournée dans son pays, où ses enfants et leurs descendants ont conservé jusqu'à aujourd'hui le nom du Sultan (4).

Salaheddine El-Ayyoubi (Saladin)
"J'ai fait connaissance de tous les proches de cet homme et entretenu avec eux une solide relation pendant la durée de mon séjour à Paris. Au moment de mon départ de France, cet ami se trouvait chez son frère le préfet dans le département du Tarn (5) dans une ville appelée Albi. Il m'envoya alors une lettre dont je vous transcris ici l'essentiel:
"A son excellence notre très cher Cheikh Rifa‘at (...) Il ma été rapporté que vous devez quitter la France très bientôt. Je ne pense donc pas pouvoir vous rencontrer à Paris d'ici votre départ. Toutefois, si vous partiez un peu plus tôt nous pourrions nous voir à Marseille et je prendrai ainsi congé de vous dans la dernière ville de France que vous traverserez dans votre voyage. Mais si votre départ venait à être tant soit peu retardé, nous pourrions donc nous séparer à Paris, la ville de notre première rencontre. Je ne sais pas si cela sera possible mais, sait-on jamais? les caprices du destin sont fréquents surtout en Europe. Je ne peux me résoudre à l'idée de ne pas nous revoir avant cette séparation.
"Quoi qu'il en soit ne doutez pas un instant que vous laisserez derrière vous en France un ami sincère qui gardera votre souvenir. Je ne resterai pas insensible à tout ce qui vous adviendra de bien comme de mal et je me réjouirai immensément d'apprendre que vous aurez recueilli dans votre pays les fruits de vos mérites.
"Ah combien je souhaite que vous retourniez dans votre pays avec foi en la nature des Français. Vous aurez vu une nation dans un moment merveilleux de son histoire et je pense qu'on vous questionnera souvent dans votre pays à propos de la grande révolution des Français et de leur victoire dans la quête de leur liberté (6). Je garde malgré tout l'espoir que votre voyage soit retardé de quelques jours pour que nous puissions nous rencontrer à Paris. Sinon je vous prie de prendre congé par la plume à défaut de vive voix. Avec l'expression de mon immense amitié.
"Signé: Jules Saladin"
1) L'auteur utilise le mot hybride arabo-turc Mahabesgi محابسجي
2) en Français transcrit en caractères arabes dans le texte.
3) L'auteur écrit "Saladaniya" السلدانية
4) Saladin, vainqueur des croisés à Jérusalem avait profondément marqué l'esprit des Francs par son caractère généreux et chevaleresque. C'est à cela dit-on que l'on devrait l'existence du patronyme Saladin en France, où il est aujourd'hui porté par plus de mille personnes. Selon "Famille et Généalogie" 300 enfants sont nés avec ce patronyme entre 1966 et 1990.
5) l'auteur écrit "tark" mais Albi lève le doute.
6) Révolution des 27, 28 et 29 juillet 1830 dite des "Trois Glorieuses" qui renversa Charles-X de Bourbon au profit de Louis-Philippe d'Orléans, mettant ainsi fin à la seconde Restauration et instaurant un régime qui se montra très libéral dans ses premières années.
"Cependant, m. de Sacy estime que mon travail pèche sur trois points, à savoir que:
1°)Il contient sur quelques questions des considérations d'inspiration islamique.
2°) Il étend à l'ensemble de la France mes observations concernant Paris.
3°) Il contient des éléments sans utilité concernant mon avis quant à la supériorité de la forme circulaire sur toutes les autres formes géométriques.
"S'il ne conteste par ce que m. de Sacy à noté concernant mes considérations d'inspiration islamique sur certaines questions, M. de Perceval m'a confié lors d'une conversation qu'il n'y voyait rien de mal puisque je n'avais fait qu'écrire en accord avec mes convictions alors que si j'avais suivi ou approuvé l'opinion des Européens concernant notamment la pudeur, j'aurais fait preuve d'hypocrisie.
"S'agissant de la simplicité du style de mon ouvrage, M. De Perceval comme M. de Sacy entendent par ce mot que mon propos n'était pas de faire montre d'éloquence. Pour les savants français, simplicité et éloquence vont de pair.
Tahtaoui nous parle ensuite d'un homme avec lequel il s'était "lié d'une solide amitié". "J'ai fait sa connaissance, écrit-il, dans son bureau où j'étais venu consulter les gazettes, ces feuilles qui rapportent les nouvelles quotidiennes. Cet homme était huissier (1) au Ministère des Finances et son frère, préfet d'un département (2), c'est-à-dire d'une des régions de France. Il était issu d'une grande lignée dite "Saladine" (3) remontant, selon les gens de cette famille, au Sultan Salaheddine El-Ayyoubi, qui, pendant la guerre qu'il mena contre les Francs, se serait épris d'une Française. Celle-ci, devenue grosse de ses oeuvres, serait retournée dans son pays, où ses enfants et leurs descendants ont conservé jusqu'à aujourd'hui le nom du Sultan (4).

Salaheddine El-Ayyoubi (Saladin)
"J'ai fait connaissance de tous les proches de cet homme et entretenu avec eux une solide relation pendant la durée de mon séjour à Paris. Au moment de mon départ de France, cet ami se trouvait chez son frère le préfet dans le département du Tarn (5) dans une ville appelée Albi. Il m'envoya alors une lettre dont je vous transcris ici l'essentiel:
"A son excellence notre très cher Cheikh Rifa‘at (...) Il ma été rapporté que vous devez quitter la France très bientôt. Je ne pense donc pas pouvoir vous rencontrer à Paris d'ici votre départ. Toutefois, si vous partiez un peu plus tôt nous pourrions nous voir à Marseille et je prendrai ainsi congé de vous dans la dernière ville de France que vous traverserez dans votre voyage. Mais si votre départ venait à être tant soit peu retardé, nous pourrions donc nous séparer à Paris, la ville de notre première rencontre. Je ne sais pas si cela sera possible mais, sait-on jamais? les caprices du destin sont fréquents surtout en Europe. Je ne peux me résoudre à l'idée de ne pas nous revoir avant cette séparation.
"Quoi qu'il en soit ne doutez pas un instant que vous laisserez derrière vous en France un ami sincère qui gardera votre souvenir. Je ne resterai pas insensible à tout ce qui vous adviendra de bien comme de mal et je me réjouirai immensément d'apprendre que vous aurez recueilli dans votre pays les fruits de vos mérites.
"Ah combien je souhaite que vous retourniez dans votre pays avec foi en la nature des Français. Vous aurez vu une nation dans un moment merveilleux de son histoire et je pense qu'on vous questionnera souvent dans votre pays à propos de la grande révolution des Français et de leur victoire dans la quête de leur liberté (6). Je garde malgré tout l'espoir que votre voyage soit retardé de quelques jours pour que nous puissions nous rencontrer à Paris. Sinon je vous prie de prendre congé par la plume à défaut de vive voix. Avec l'expression de mon immense amitié.
"Signé: Jules Saladin"
1) L'auteur utilise le mot hybride arabo-turc Mahabesgi محابسجي
2) en Français transcrit en caractères arabes dans le texte.
3) L'auteur écrit "Saladaniya" السلدانية
4) Saladin, vainqueur des croisés à Jérusalem avait profondément marqué l'esprit des Francs par son caractère généreux et chevaleresque. C'est à cela dit-on que l'on devrait l'existence du patronyme Saladin en France, où il est aujourd'hui porté par plus de mille personnes. Selon "Famille et Généalogie" 300 enfants sont nés avec ce patronyme entre 1966 et 1990.
5) l'auteur écrit "tark" mais Albi lève le doute.
6) Révolution des 27, 28 et 29 juillet 1830 dite des "Trois Glorieuses" qui renversa Charles-X de Bourbon au profit de Louis-Philippe d'Orléans, mettant ainsi fin à la seconde Restauration et instaurant un régime qui se montra très libéral dans ses premières années.