UN ÉGYPTIEN À PARIS (39)

Publié le par Yaqzan

Sous Charles-X et Louis-Philippe


Le Cheikh Tahtaoui poursuit le récit des ses échanges épistolaires avec quelques savants français (lien)











Armand Pierre Caussin de Perceval

"J'ai reçu une lettre de M. Caussin de Perceval (1), professeur enseignant à Paris la langue arabe dite "darija" , c'est-à-dire la langue de la conversation en usage dans le peuple (1-bis). Je lui avais écrit pour solliciter son avis sur ma relation de voyage. Voici le texte de cette lettre:

"A son excellence, ami très cher et honorable, éloquent par la langue et la plume, très éminent et honoré Cheikh Rifa‘at , que Dieu le garde. "Amin" (2)

"Avec l'expression de  nos salutations, félicitations et   respect.

" Nous avons reçu hier votre lettre et nous nous sommes empressé de répondre à votre demande. Vous trouverez ci-joint une notice dans laquelle nous exprimons notre opinion sur le  récit de votre voyage que vous nous avez fait l'honneur de confier à notre examen.

"En vérité, nous y exprimons notre sentiment et nos commentaires sur les qualités de son contenu. En revanche nous n'y avons trouvé aucune imperfection.

"Puisque vous avez décidé de partir à la fin de ce mois, nous vous prions de nous faire l'amitié, après votre retour dans votre pays , de  nous garder présent dans  vos pensées et de nous tenir informer de votre santé. Nous vous prions aussi de nous adresser un exemplaire de votre livre lorsqu'il aura été imprimé. Nous en serons comblé et resterons reconnaissant de votre amabilité. Dieu -qu'il soit exalté-  vous garde. Salutations.

Votre ami Caussin de Perceval, le 25 Shebat 1831 (3)
       
"Voici donc la transcription de la notice en Français dans laquelle m.de Perceval donne son avis sur ma relation de voyage et qu'il a communiquée à m. Jomard (lien) :

"J'ai lu avec attention l'ouvrage du Cheikh   Rifa‘at intitulé "Takhlis al-Ibriz fi Talkhis Bariz" (4) et j'y ai trouvé un petit récit du voyage effectué par les Égyptiens envoyés en France par le Vizir  Hajj Méhémet Ali Pacha. Il contient une description de la ville de Paris dans sa configuration ainsi que des notices sur l'ensemble des branches de la science dont l'étude était exigée de ces étudiants.

"Il m'a semblé que cette composition mérite beaucoup de louanges et que sa conception est de nature à apporter un grand profit aux compatriotes de son auteur. Celui-ci leur offre en effet un choix d'observations justes sur l'état des sciences, arts et techniques en France ainsi que sur les coutumes et moeurs de ses habitants et la politique de l'Etat.

"Il constate avec regret l'état d'infériorité de sa patrie par rapport aux  pays d'Europe en matière de connaissance des sciences humaines et des arts et techniques utiles, il manifeste sa volonté de faire en sorte que son livre provoque l'éveil des Musulmans et leur inculque le goût des connaissances profitables et fasse naître en eux le désir de connaître  la civilisation européenne et les progrès  réalisés par celle-ci  dans la qualité des conditions de vie.

"Par ce qu'il rapporte concernant les établissements publics , les directives de l'Etat et autres choses encore, il entend faire comprendre aux gens de son pays qu'il leur faut s'en inspirer.

"quelques unes de ses observations témoignent d'un esprit sain, dépourvu d'arbitraire et de sectarisme.  Ce livre est  écrit dans un style simple et sobre, sans  fioritures mais cependant agréable.

"J'ai constaté que l'ouvrage est incomplet dans sa partie concernant les sciences, arts et techniques. J'y ai seulement trouvé des notices concernant les mathématiques, la configuration du monde, la géographie, les principes et fondements de la géométrie et les sciences naturelles. Mais bien que succinctes, ces notices n'en sont pas moins satisfaisantes et je souhaite que l'auteur complète son travail dans ces matières et les réunissent en un livre de sciences exhaustif , une clé du savoir bénéfique pour les Arabophones.  Cet ouvrage ainsi achevé témoignerait de l'élévation d'esprit de son auteur et de l'ampleur de son savoir.

"Signé Caussin de Perceval"

1) Armand Pierre Caussin de Perceval (1795-1871) a été nommé professeur d'arabe dialectal à l'École des langues orientales en 1820 puis professeur d'arabe au Collège de France en 1833. Il entra à l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres en 1849.

1-bis) Les Arabophones pratiquent partout un bilinguisme littéraire/dialectal. Il serait incongru, voire cocasse ou ridicule, de parler en Arabe littéraire, dit classique, dans la conversation courante. La forme littéraire (aujourd'hui modernisée) n'est utilisée que dans la presse, la littérature,  les discours officiels, les conférences etc. L'Arabe dialectal diffère fortement d'un pays à l'autre.

2) Perceval utilise la forme arabe  de notre "Amen".

3) L'orientaliste utilise le nom syriaque du mois  de février utilisé au Levant. Il avait, plus jeune, exercé la fonction d'interprète (drogman) à Alep (Syrie).

4) Littéralement: "Affinement de l'Or ou Résumé de Paris", que j'ai traduit par "le Raffinement de l'Or à l'image de Paris" dans le premier article de la série.


Publié dans Histoire

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article