UN ÉGYPTIEN À PARIS (38)

Publié le par Yaqzan

Sous Charles-X et Louis-Philippe


Tahtaoui évoque sa correspondance épistolaire avec "quelques uns des plus grands savants français autre que M. Jomard"




 








                                    Statue de Sylvestre de Sacy à l'École
                                                         des Langues Orientales de Paris

"M. Sylvestre de Sacy  lien UN ÉGYPTIEN À PARIS (9)  m'a écrit nombre de fois, et je vous fais part ici de quelques unes de ses lettres écrites  parfois en Arabe parfois en Français:


"De celui qui implore la miséricorde du Seigneur -qu'il soit loué et exalté- à son ami  très cher et honoré, son frère estimé et respecté le Cheikh Rafi‘ Rifa'at at-Tahtaoui, -que Dieu tout puissant le protège de toute abomination et de tout mal et le range parmi les pourvus de santé,  bonheur et  bien. (1)

"Donc: Je viens d'achever la lecture de la partie de votre précieux ouvrage concernant le récit de votre séjour à Paris. et je vous le retourne par les soins de votre jeune domestique. Il vous parviendra accompagné de commentaires marginaux de ma main à propos de ce que vous écrivez concernant la conjugaison des verbes de notre langue française. "Ces commentaires vous permettront de distinguer le bon usage de la forme du verbe au passé.

"Il vous faudrait écrire un livre consacré à la grammaire de la langue française telle qu'elle est couramment en usage dans toutes les nations d'Europe et dans leurs possessions, de façon que les gens d'Egypte puissent accéder aux sources de nos connaissances scientifiques et procédés  techniques  exposés dans nos ouvrages. En retour, cela vous vaudra dans votre pays la plus grande gloire et fera de vous une référence pour les siècles à venir."

"Avec mes voeux de santé, votre ami Sylvestre de Sacy".

"Voici une autre lettre de M. de Sacy:

"A  notre ami le Cheikh Rifa‘at at-Tahtaoui, que Dieu le garde et lui donne longue vie.

"Vous recevrez attaché à cette lettre le document que vous m'avez demandé et par lequel je témoigne avoir bien lu votre relation de voyage et tout ce que vous avez minutieusement observé touchant les moeurs des Français, leurs coutumes, leur conduite des affaires, les fondements de leur religion, leur savoir et leurs humanités. Nous avons trouvé vos observations bonnes, claires , instructives et propres à satisfaire quiconque s'arrête à leur lecture. Il ne serait pas négligeable que vous présentiez ce document à M. Jomard, qui, si Dieu le veut, vous fera obtenir grâce à votre ouvrage, la faveur de son excellence et altesse le Pacha (2), qui vous dispensera les bienfaits que vous ètes en droit d'espérer.

" Avec tout le bien que je vous souhaite.  votre ami Sylvestre de Sacy le Parisien (sic)." (3)
 
Le Cheikh Tahtaoui poursuit: "Cette lettre était donc accompagnée d'une note écrite en Français semblable dans l'éloge et que je devais communiquer à m. Jomard. Je la transcrit ci-après:

"M. Rifa‘at a souhaité que je prenne connaissance de sa relation de voyage écrite en Arabe. Je n'en ai parcouru qu'une partie mais je peux dire qu'il est de très bonne facture dans sa composition et qu'il permettra à ses frères égyptiens de se faire une idée correcte de nos coutumes de nos affaires religieuses, politiques et scientifiques bien qu'il soit assorti de quelques conceptions de caractère islamique.

"Ce livre permet de connaître la configuration du monde. On y décèle que son auteur à un bon jugement critique et une saine compréhension bien que son appréciation de l'ensemble de la population française ne soit pas tout à fait exacte. Cela tient forcément au fait qu'il n'a pu explorer que Paris et quelques villes.

"Dans le domaine des sciences, il s'est particulièrement attaché à procéder du connu à l'inconnu (4) tout spécialement dans sa notice concernant les mathématiques et la configuration du monde.

"Dans son ensemble, cet ouvrage est clair et dépourvu de fioritures comme il convient à la nature des  sujets qui y sont traités bien que ce ne soit pas tout à fait vrai concernant les règles de la langue arabe. Toutefois, cela tient vraisemblablement  à la précipitation et ce sera sans doute corrigé lors de la mise au propre.

"Concernant la versification, il se livre à des digressions poétiques qui sont à mon avis totalement étrangères aux sujets traités. Mais cela est sans doute du goût de ses concitoyens. (5)

"Dans son propos concernant la supériorité du cercle dans la hiérarchie des formes (géométriques), il avance certains détails dépourvus d'utilité. Il lui faudra les éliminer.
 
Je ne mentionne ces choses et n'apporte ces éclaircissements que pour bien montrer  que j'ai lu minutieusement ce livre, qui, dans son ensemble montre que M. Rifa‘at a fait bon usage de son séjour en France  et y a acquis d'immenses connaissances qu'il domine totalement et qui le font apte à en faire profiter son pays. J'en témoigne de bon coeur et je  place (Rifa‘at) très haut dans mon  estime et lui voue une grande amitié.

Le Baron Sylvestre de Sacy. Paris, le 19 février 1831 correspondant au mois de Cha‘aban de l'an 1246 de l'Hégire.

Tahtaoui cite enfin une dernière lettre du Baron de Sacy reçue peu avant qu'il ne quitte Paris pour le Caire et dans laquelle le célèbre orientaliste  l'invite à venir le voir chez lui un certain lundi après-midi pour "passer quelques instants agréables". En cas d'indisponibilité, il lui souhaite bon voyage et lui demande de lui envoyer de ses nouvelles après son retour en Egypte.

Après Sylvestre de Sacy, Tahtaoui nous parlera de sa correspondance avec l'orientaliste Armand Pierre Caussin de Perceval. Ce sera l'objet d'un prochain article de cette série (Inchallah).

1) L'orientaliste utilise le préambule épistolaire traditionnel islamique dans cette lettre écrite sans doute en Arabe.
2) Méhémet Ali Pacha, vice-roi d'Égypte.
3) Al-Barizi en Arabe. De Sacy utilise curieusement la coutume arabe de préciser à la suite de son nom le lieu de sa naissance (nisba), comme c'est le cas de Tahtaoui,  sans doute originaire de la ville de Tahta en Égypte.
4)Démarche mathématique ou dialectique aux racines platoniciennes qui consiste à partir d'axiomes et théorèmes connus pour en découvrir d'autres.
5) Le livre de l'Imam contient effectivement des pages entières de vers qui, mis à part  quelques uns très rares, n'ont rien de commun avec son propos général.


Publié dans Histoire

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