UN ÉGYPTIEN À PARIS (35)

Publié le par Yaqzan

Sous Charles X et Louis-Philippe


Les premières armes  de Tahtaoui et de ses protégés dans  capitale

De très chères études

"A Marseille, nous avions mis à profit  les   trente jours de notre attente du départ vers Paris pour apprendre a épeler les mots français. Arrivés dans la capitale, nous nous sommes logés dans une même maison et nous avons commencé à pratiquer la lecture. Nous avions organisé notre emploi du temps de la façon suivante : Le matin, nous étudiions l'histoire pendant deux heures. Après le déjeuner, nous apprenions l'écriture puis la prononciation et la conversation en Français. L'après-midi nous pratiquions le dessin et l'étude de la grammaire.

"Le vendredi était consacré à trois cours de calcul et de géométrie. Au début, nous avions deux cours de calligraphie puis ensuite un seul par jour jusqu'à ce que nous ayons totalement assimilé cet enseignement; à la suite de quoi le professeur d'écriture prit congé de nous.

"Quant au calcul, à la géométrie, l'histoire et la géographie, nous les avons étudiés sans discontinuer jusqu'à  l'heure de notre retour (en Égypte). Nous avons habité la même maison pendant environ un an, occupés à lire en Français et étudier les matières mentionnées plus haut. Toutefois, au delà de l'apprentissage de la grammaire, tout cela ne nous a guère permis d'atteindre un  niveau élevé.

"Nous nous sommes ensuite séparés pour nous répartir entre divers lieux d'étude soit seul soit par groupes de deux ou trois. Certains étaient intégrés aux élèves français d'un établissement, d'autres étaient admis au domicile d'un professeur particulier moyennant le paiement d'une somme déterminée pour prix du lit, du couvert, de l'enseignement et d'autres services comme l'entretien du linge etc. Le maître du lieu nous prenait en échange dix bourses  par an (1)  mais nous ne manquions de rien tant en  nourriture qu'en boisson.

"Le climat du pays étant très froid il  en coûtait à chacun de nous trois cents piastres de bois de chauffage par an (2). Outre ces énormes dépenses, l'administration égyptienne nous fournissait également nos chemises, nos serwal (3) nos sandales et achetait toutes les fournitures dont nous avions besoin, telles que  les livres, le papier, l'encre, les plumes à dessin etc.

"Il convient de mentionner également les honoraires versés aux médecins et pharmaciens pour le traitement de ceux d'entre nous qui tombaient malades. Outre le fait qu'ils sont extrêmement nombreux, les médecins parisiens, indépendamment de leur ancienneté dans la profession, bâtissent leur situation et leur réputation à la mesure de leur activité, à savoir du plus ou moins grand nombre de consultations pratiquées. Est-il nécessaire de rappeler l'importance accordée par les Français à la médecine et à la santé? voir UN ÉGYPTIEN À PARIS (21)

U
ne médecine à plusieurs vitesses

"La moindre consultation médicale qui prend environ une demi-heure coûte trois francs. S'il s'agit d'un médecin de moyenne réputation il en coûte cinq francs et le montant des honoraires d'un médecin de grande réputation peut atteindre plus de cinquante francs par consultation (4). Or  le rang du médecin dans sa profession s'élève en fonction du nombre des consultations qu'il pratique chaque jour.


Médecin caricaturé par Honoré. Daumier


"Toutefois, si le malade est un indigent, il arrive que rien ne lui soit réclamé. En ce qui nous concerne,  en raison de la beauté de nos vêtements -étranges aux yeux des Français-   et de notre rapport avec notre gracieux souverain (5), nous étions considérés comme faisant partie des nantis et plus encore des fortunés.


Costume de Cheikh d'après
la  Description de l'Égypte

"L'importance de toutes les dépenses ainsi engagées nous était fréquemment rappelée par les inspecteurs chargés de contrôler nos études (6) afin de mieux nous inciter à l'effort."



1) En Arabe  عشرة اكياس .  Unité monétaire valant quinze Livres anglaises, selon  William Edward Lane  dans son "Maners and costums of modern Egyptians" descrition de l'Egypte entre 1833 et 1835.

2) Environ cent francs de 1830. Voir note (4)

3) Pantalon bouffant des Orientaux.

4) A l'époque, le salaire quotidien moyen d'un artisan se situait entre deux et trois francs et le pain coûtait 0,75 fr.le kilo.

5) Le vice-roi d'Egypte Méhémet Ali.

6)  Tahtaoui précise ailleurs que Méhémet Ali avait  envoyé en France pour s'y perfectionner trois membres de son divan (Cabinet royal) qui étaient accessoirement chargés de surveiller les études et la vie privée des étudiants. A la demande du vice-roi, la supervision générale du stage avait été confiée à Edmé Jomard, le célèbre géographe français, membre de l'expédition scientifique qui accompagna Bonaparte en Égypte et  principal éditeur de la  fameuse Description de l'Égypte . Dans son ouvrage le Dernier Pharaon (éd. Pygmalion 1997), Gilbert Sinoué précise que Jomard était secondé dans cette tâche par un professeur d'Arabe du lycée Louis-le-Grand ,  Joseph Akoub, d'origine copte. Selon l'auteur, le groupe était logé dans le quartier du Luxembourg, au 15 rue du Regard, à l'hôtel de la Guiche, qui fut la résidence du Comte du même nom au milieu du XVIIIème siècle.

Publié dans Histoire

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