UN ÉGYPTIEN À PARIS (33)

Publié le par Yaqzan

Sous Charles-X et Louis-Philippe



La Presse française vue par Rifaat at-Tahtaoui

"Entre autres choses utiles et fort profitables courantes dans ce pays,  il y a  des billets quotidiens qu'on appelle  journaux, ce qui est le pluriel français de journal. Ce sont des feuilles  imprimées quotidiennement  et qui mentionnent tous les faits qui parviennent  chaque jour à la connaissance de ceux qui les écrivent. Ces journaux sont diffusés en ville et vendus à tout le monde. Les personnes de la bonne société de même que les cafés les reçoivent par abonnement.




"Ces journaux sont autorisés à rapporter ce que bon leur semble, tout ce qu'ils apprécient ou réprouvent, tout ce qu'il jugent bon ou détestable. Ils sont autorisés à exprimer leur point de vue sur les affaires  de l'état et ils ont en cela une totale liberté tant qu'ils ne portent pas préjudice.  Dans ce cas ils sont traduits devant la justice. (1)


"Le ventre législatif", dessin de Daumier (1834)  brocardant le banc du ministère
à l'Assemblée (premier plan au centre  le Premier ministre Guizot) (v. note 2)

"Les journaux sont liés à des communautés, groupes ou associations (2) dont ils  défendent et soutiennent la doctrine, aussi ne trouve-t-on pas au monde plus menteur qu'un journal, en particulier chez les français pour qui le mensonge n'est pas en soi vraiment une faute. En général, les gens qui écrivent dans les journaux sont pires que les poètes dans  leurs inimitiés comme dans leurs amitiés.


Caricature de Louis-Philippe par Philippon (v. note 2)

"Les journaux sont de diverses sortes et catégories. Il y a ceux qui ne traitent que des affaires du royaume, ceux qui rapportent les faits courants de la société, d'autres qui se consacrent aux questions concernant  telle ou telle science, comme la médecine etc.

"Généralement, un seul des ces journaux  est imprimé et vendu à vingt-cinq mille exemplaires et chaque journal voit sa diffusion augmenter en fonction de l'accroissement de l'intérêt que lui portent les gens. (3)

"Les gens qui écrivent ces journaux ont connaissance avant tout le monde de ce qui se passe dans d'autres régions ou pays car ils y ont des correspondants qui les informent. On trouve également des annuaires, des calendriers et des éphémérides, ainsi que des almanachs qui, outre la division du temps, rassemblent des informations sur les curiosités scientifiques et artistiques ainsi que beaucoup d'autres concernant les affaires de l'État, y compris la liste des Grands de ce Monde et des notables de France avec l'indication de leur domicile , de leur rang et de leurs fonctions. Ainsi, toute personne ayant besoin de connaître le nom d'une personnalité et son domicile peut consulter ces ouvrages.

"Il existe aussi à Paris des salles de lecture où, moyennant le paiement d'une somme déterminée, les gens peuvent consulter des journaux ou des livres.  Chacun peut également louer l'ouvrage dont il a besoin, l'emporter chez lui  et le rapporter après l'avoir lu.

"Le visiteur est fasciné à Paris par le nombre des librairies et des édicules de vente de livres. La publication, avec ses nombreuses imprimeries, est un commerce à ce point florissant qu'il est difficile d'évaluer le nombre des ouvrages publiés chaque année (4). L'objet de la plupart de ces publications est le gain plutôt que l'utilité. Cependant,  il ne se passe pas une année à Paris sans que ne sortent des imprimeries des livres avec lesquels peu d'autres peuvent rivaliser tant est grand l'intérêt que portent (les français) à la connaissance; ce pour quoi il convient de les louer".

1) Florissante au "Siècle des Lumières" et sous la Révolution avec des centaines de titres, la presse, en grande partie muselée sous le premier Empire et la Restauration, connut une nouvelle expansion sous Louis-Philippe, qui entérina une charte émanant des Chambres législatives et qui proclamait que "les citoyens ont le droit de publier et de faire imprimer leurs opinions en se conformant aux lois et la censure ne pourra jamais être rétablie". Toutefois, l'interdiction de la caricature politique, arme redoutable de l'opposition républicaine fut interdite en 1835 sous prétexte d'un attentat commis contre la famille royale par un conspirateur corse nommé Fieschi.

2) Il s'agissait pour l'essentiel de partis politiques. Le Journal des Débats soutenait le nouveau régime orléaniste. La Gazette de France et la Quotidienne constituaient la presse légitimiste favorable aux Bourbons et la presse républicaine était représentée par le National et la Tribune. Les légitimistes diffusaient également la revue La Mode et les Saint-Simoniens Le Globe. Mais ce fut également la grande époque de la presse satirique républicaine avec Le Charivari, et La Caricature, notamment, qui publiaient les dessins féroces de Charles Philippon et de Honoré Daumier, hostiles au "pouvoir des bourgeois" qui s'était établi en force à la faveur du nouveau régime.

3) Selon des statistiques établies à partir de documents fiscaux, il y avait en 1831 à Paris dix-sept titres représentant un tirage global de 85.000 exemplaires et en province 32 titres pour un tirage global de 20.000 exemplaires. Ces statistiques n'incluaient pas la presse spécialisée.

4) Cet essor de la presse s'accrût encore à partir de 1836 jusqu'au second empire avec Émile de Girardin, publiciste, homme d'affaires et sans doute affairiste, qui inventa la presse moderne populaire à prix réduit avec l'usage de la publicité et la diffusion en exclusivité de romans feuilletons tels ceux d'Alexandre Dumas et Eugène Sue.

Publié dans Histoire

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