UN ÉGYPTIEN À PARIS (30)

Publié le par Yaqzan

Sous Charles-X et Louis-Philippe

Rifaat at-Tahtaoui, l'envoyé de Méhémet Ali,  découvre un monde d'académiciens


Fête devant la cour de l'Institut

"Nous avons évoqué  le grand nombre d'écoles où toutes les sciences et  techniques et plus particulièrement la médecine sont enseignées à Paris. Il nous faut maintenant parler des savants dans leurs différentes disciplines. Ceux-ci ont à Paris d'importantes  assemblées aux noms divers,  académies, sociétés ou conseils. Mais l'Institut est le nom sous lequel sont rassemblées l'Académie de la langue Française, l'Académie des Lettres, histoire et archéologie, l'Académie des Sciences physiques et d'architecture, l'Académie des Beaux Arts et l'Académie de Philosophie (1).

Un peu d'histoire ancienne

"Le mot Académie vient du nom d'un lieu d'Athènes dans lequel Platon enseignait. Ce même endroit, disait-on, tenait son nom d'un personnage grec appelé Akadémos (2), qui l'avait légué à la ville d'Athènes. On en avait fait un jardin , lieu de promenade et de détente, où Platon enseignait à ses disciples. Ceux-ci constituèrent une communauté de savants appelés académiciens, puis platoniciens. Les platoniciens sont aussi connus chez les Arabes sous le nom d'"ishraqiyoun"(3).

"Mais chez les Français, le terme d'académiciens ne s'entend que pour désigner les gens de l'Académie Française, les plus grands hommes de science de France. De la même manière, par Académie égyptienne on entendrait naturellement l'Université El-Azhar, assemblée des plus grands hommes de sciences d'Egypte.

Les immortels

"Les savants de l'Académie Française sont au nombre de quarante. Chacun d'entre eux est appelé membre, de sorte que cet aréopage est comparable à un corps humain composé d'organes (4). Les éminents  membres de cette académie occupent un rang supérieur à tous les autres français. Ils ont pour fonction de rédiger les dictionnaires de la langue française et d'évaluer les écrits littéraires et historiques.

Un  académicien peu académique


"Après la mort d'un membre de l'académie, il arriva qu'un homme  de savoir français qui avait atteint  un haut degré de connaissances avait toutes les qualités pour succéder au défunt. Or cet homme, connu pour son goût de la dérision, avait coutume de se gausser des membres de l'Académie. Ceux-ci hésitèrent donc longuement avant de l'accepter parmi eux après que le postulant, usant de ruse, eût affirmé devant quelques uns de ses amis que l'esprit des académiciens valait celui de quatre. Or ce qui qui fut pris pour un éloge, signifiait tout simplement pour l'effronté que l'esprit de dix académiciens n'équivalait qu'à celui d'un seul (5).


Buste d'Alexis Piron par Caffieri

Entre autres extravagances, cet homme avait fait graver sur le marbre de son futur tombeau -comme il est coutume chez les français- une épitaphe où il était inscrit: "ci-gît celui qui, à l'instar des savants de l'Académie, n'a rien été de sa vie" (6). Il voulait dire par là qu'il n'avait de sa vie atteint d'autre degré que celui de l'insignifiance de ces savants.

Une autre académie dite des arts et lettres, composée de trente personnes, a pour mission d'étudier les langues pratiques, les vestiges archéologiques et en particulier les monuments extraordinaires ainsi que les moeurs et coutumes des nations. L'essentiel de son activité vise à apporter à la culture française ce dont elle a besoin  en matière de connaissance des langues étrangères comme, entre autres,  le Latin, l'Arabe, le Hindi, le Chinois,  le Persan, le Grec, l'Hébreu et le Copte (7).

La communauté savante de Paris compte aussi l'Académie Nationale des Sciences. Celle-ci est divisée en onze sections correspondant à autant de spécialités différentes, comme les mathématiques, à savoir le calcul et la géométrie,  puis  la mécanique des masses, l'astronomie, la géographie, les sciences expérimentales, la physique, les sciences naturelles, la minéralogie, la botanique, la géologie, la médecine vétérinaire,  l'anatomie, la médecine et la chirurgie.

"Aux institutions scientifiques et artistiques déjà mentionnées, il nous faut ajouter l'Académie nationale des Beaux Arts, qui comprend cinq sections: le dessin, la sculpture, l'architecture, la gravure et la composition musicale. L'école des Beaux Arts enseigne ces disciplines (8)


1) L'Académie Française a été  fondée en 1635 par le cardinal de Richelieu sous le règne de Louis XIII. avec pour mission de normaliser la langue Française. Elle fut intégrée à l'Institut de France lors de sa création en 1795. Outre l'Académie française, l'Institut comprend l'Académie des Inscriptions et belles Lettres (1663), l'Académie des Sciences (1666), l'Académie des  Beaux-Arts (1816),  l'Académie de musique (1669) , l'Académie d'Architecture ((1671) et l'Académie des sciences morales et politiques (1795).

2) Nom d'un héros de la Mythologie grecque.

3) École philosophique et mystique dite de "l'illumination orientale" fondée par le néoplatonicien arabe d'origine Persane Shihab ed-Dine al-Suhrawardi (1154-1191). Accusé d'hérésie, il fut arrêté et mis à mort sous le règne de Saladin. Il fut contemporain du célèbre mystique andalou Ibn Arabi.

4) Cette précision apparemment cocasse s'explique sans doute par le fait que le mot "membre"  n'était pas encore utilisé en Arabe à l'époque de l'auteur dans l'acception de "participant". Il l'est aujourd'hui.

5)  L'auteur rapporte là une anecdote remontant au règne de Louis-XV mais encore bien vivante à son époque dans le mémoires. Le personnage en question est Alexis Piron (1689-1773).  Écrivain connu pour ses redoutables épigrammes et ses saillies assassines, Piron avait également commis un ouvrage licencieux intitulé "Ode à Priape". Ses épigrammes contre le journaliste Fréron, ardent adversaire bien en cour des philosophes des Lumières, de même que cet "Ode à Priape" lui valurent d'être exclu de l'Académie Française, où il avait été élu en 1753. On rapporta qu'un jour, passant devant l'Institut, il avait déclaré: "Voyez! Ils sont là quarante ayant l'esprit de quatre".

6) Alexis Piron rédigea effectivement lui-même son épitaphe en ces mots: "Ci-gît Piron qui ne fut rien pas même académicien".

7) Il s'agit de l'Académie des Inscriptions et Belles lettres (voir note 1)

8) Héritière de l’Académie royale de Peinture et de Sculpture et de l’Académie royale de Musique instituées au XVIIe siècle, l’Académie des Beaux-Arts, créée 1803, est l’une des cinq classes qui forment incorporée à l'Institut de France avec l’Académie Française, l’Académie des Sciences, l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres et l’Académie des Sciences morales et politiques

Publié dans Histoire

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