UN ÉGYPTIEN À PARIS (25)

Publié le par Yaqzan

Sous Charles-X et Louis-Philippe


Les Parisiens et la Religion



Un sévère constat de l'Imam Rifaat at-Tahtaoui

"Comme nous l'avons déjà dit, la charte (constitution) stipule que le christianisme catholique est religion d'état, mais cela a été abrogé après la dernière révolution, et la France reconnaît aujourd'hui que le Pape de Rome est le souverain suprême des chrétiens et chef de leur communauté de même que la religion chrétienne catholique est celle de la nation française comme de la majorité de ses citoyens (1).



Saint-Sulpice


"On trouve aussi à Paris une communauté chrétienne appelée Protestante. Beaucoup de juifs sont établis en France mais pas de musulmans.

"En fait, les français n'ont absolument  rien de chrétien si ce n'est le nom. Bien que comptant parmi les gens adeptes des deux Livres (n.d.t: Ancien et Nouveau Testaments), ils n'ont que faire des interdits ni des obligations qu'impose leur religion. Ainsi pendant les jours de jeûne, personne ne s'abstient de consommer de la viande, à l'exception des prêtres, de rares fidèles et des proches de l'ancien roi (2).

Libres penseurs et mécréants

"Le reste des gens se gausse de tout cela, qu'ils estiment totalement négligeable. Ils considérent que les croyances religieuses ne sont qu'élucubrations et fantasmes. Quant aux prêtres ils n'ont droit qu'au seul respect des gens qui fréquentent les églises. On ne s'intéresse absolument pas à eux pour les considérer, semble-t-il , comme des ennemis des Lumières et du Savoir. On constate la même attitude à l'égard des religions dans la plupart des royaumes d'Europe.

"M. de Sacy (3) est d'accord avec moi pour considérer que les français  et plus particulièrement les parisiens n'ont aucune religion et ne sont chrétiens que par le nom. Ils n'ont, dit-il, aucune croyance ni aucune pratique du culte chrétien. Bien au contraire, dans leurs actions, ils ne se laissent guider que  par leurs passions et ne se s'intéressent qu'aux choses d'ici-bas sans préoccupation aucune pour l'au-delà. Aussi, dit-il encore, nous les voyons tout au long de leur vie ne s'employer qu'à accumuler des richesses de quelque manière que ce soit. Et quand la mort se présente à eux, ils périssent comme des bestiaux.

Mais aussi de bons chrétiens

"Mais cependant, poursuit m. de Sacy, on trouve parmi les français des personnes qui restent fidèles à la religion de leurs pères, croient en Dieu et au jugement dernier et pratiquent les oeuvres pieuses. Ils forment, dit-il, une communauté nombreuses d'hommes et de femmes  tant parmi le peuple que dans la noblesse et on en trouve aussi parmi les gens célèbres du monde des sciences et de la culture. Cependant même parmi eux il en est qui  par faiblesse partagent le comportement du plus grand nombre, fréquentent les lieux de plaisirs, les spectacles, les bals, les assemblées où l'on chante. Toutefois quelques personnes austères se détournent de ces plaisirs sensuels mais ils sont bien peu nombreux et si vous entrez dans une de nos églises un jour de grande fête religieuse vous constaterez la vérité de mon propos. Ici s'achève le discours de m. de Sacy, qui figure parmi les rares personnes respectueuses de la religion mais qui n'ont aucun pouvoir de décision.

Les turpitudes des curés

" L'interdiction faite aux prêtres de se marier, quels que soient leur fonction ou leur rang, est l'un des traits communs horrifiants de la société française et  des autres pays catholiques. Or le célibat ajoute de la luxure à leur luxure (sic). (4)



Curé en vêement d'époque


"On peut également blâmer les prêtres lorsqu'ils exigent du peuple qu'il vienne à eux pour confesser leurs péchés et en obtenir l'absolution. Le prêtre, dans l'église, se tient sur un siège appelé confessionnal et quiconque veut obtenir l'absolution de ses péchés entre par une porte dans ce confessionnal où il s'assied. Il est séparé du prêtre par une grille à travers laquelle il confesse ses fautes et en obtient pardon. Il est bien connu ici que seuls les femmes et les enfants vont à l'église se confesser.

"Les prêtres sont divisés selon une hiérarchie. Il y a en premier lieu le cardinal, qui se situe à un degré en dessous du pape, sachant que seul un cardinal peut devenir pape. Viennent ensuite les archevêques,  les évêques, les curés puis leurs vicaires, et enfin les diacres.

Des croyances et pratiques que l'Islam réprouve

"Il y a chez les français des fêtes religieuses mobiles, dont le dates sont variables selon les années et se répartissent généralement en fonction de la date de la fête de Pâques. Ils ont d'étranges fêtes, comme celle de l'Ascension puis celle de l'apparition du Seigneur Jésus (5) qu'ils appellent ici fête des Rois. Ce jour-là, dans chaque famille on prépare un grand gâteau dans lequel est placée une graine de fève. Le gâteau est divisé entre les convives et celui à qui échoit la fève est proclamé roi , s'il s'agit d'un homme, et s'exprime comme on s'adresse à lui pendant toute la soirée en sa qualité de souverain. Celui-ci et il choisit parmi les convives une femme dont il fait sa reine. Si la fève échoit à une femme celle-ci est proclamée reine et choisit parmi l'assistance un homme qu'elle prend pour mari et roi.

"Tous les deux sont honorés toute la soirée selon un protocole et un rituel traditionnels. Cette coutume est observée dans toutes les maisons de Paris y compris dans celle du roi des français.

"Au nombre des inventions étranges (6) des prêtres, il y a, le jour de la fête de l'Eucharistie, une procession au cours de laquelle, vêtus de robes brodées, les curés parcourent la ville avec une chose (sic) qu'ils appellent le "Bon Dieu". Ils prétendent que Dieu est présent dans  le petit morceau de pain qu'ils tiennent entre les mains. Par "Bon Dieu" c'est en fait Jésus «Sur lui soit  le salut»  qu'ils désignent (7) .

L'opium du peuple

Mais les Français savent bien que toutes ces choses relèvent de l'extravagance et corrompt le pays en se répandant dans l'esprit de ses habitants. Les prêtres ont été aidés dans ces pratiques par les souverains qui ont pu ainsi tirer profit de l'état de soumission du peuple pour mieux l'asservir. (8)

"Les inventions coupables des prêtres sont nombreuses et les français en connaissent l'inanité et les tournent en dérision (9). Ils ont d'autres fêtes qu'il serait trop long d'énumérer ici. Chaque français a sa fête le jour du saint dont il porte le nom. Ainsi, tout individu prénommé Paul est fêté le jour de la Saint Paul. Un festin est préparé ce jour-là en son honneur et des fleurs lui sont offertes.

1) Ce passage quelque peu abscons signifie simplement que la "Monarchie de Juillet", après la révolution de juillet 1830 dite des "Trois Glorieuses", a rompu avec le gallicanisme
2) Charles-X passait pour être bigot. En revanche Louis-Philippe, ami des "Lumières", était indifférent à la chose religieuse.
3) Silvestre de Sacy, célèbre orientaliste et premier administrateur de l'Ecole des Langues Orientales de Paris (voir) UN ÉGYPTIEN À PARIS (9)
4) Ce thème est récurrent dans les écrits arabes musulmans comme  les anciens traités de "Hisba" sur le contrôle des bonnes moeurs, dans lesquels les curés sont généralement qualifiés de fornicateurs.
5) Il s'agit en occident de la fête de l'Epiphanie célébrant l'apparition du Messie aux rois mages
.6) L'auteur emploie le terme arabe "bidaa" qui signifie innovation à caractère hérétique. Ce mot est aujourd'hui encore abondamment utilisé par les intégristes musulmans pour fustiger certaines pratiques ou idées modernes.
7)  Jésus et la vierge  Marie , présents dans le Coran, sont vénérés en Islam. Toutefois les théologiens musulmans condamnent les chrétiens pour prétendre que Jésus est "fils de Dieu" et partage sa divinité. Ils sont considérés pour cela comme des "Associateurs" (mushrikin) et même parfois taxés de polythéisme.
8) A l'évidence, Tahtaoui évoque les souverains prédécesseurs de Louis-Philippe.
9) L'imam fait une distinction très nette entre le clergé et une large part de la population parisienne, qui, à l'époque, adepte de la libre pensée, avait plutôt tendance à "bouffer du curé".

Publié dans Histoire

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