UN ÉGYPTIEN À PARIS (24)

Publié le par Yaqzan

Sous Charles-X et Louis Philippe




L'Imam Rifaat at-Tahtaoui Tahtaoui découvre:


                           la poste, le négoce et la publicité commerciale

"L'acheminement des messages  est assuré chez les français par ce qu'ils appellent "la Poste". Il s'agit d'un des services les plus importants et des plus utiles au profit des activités commerciales ou autres. La Poste permet de faire parvenir à autrui des informations avec une grande rapidité et en obtenir  réponse dans les délais les plus brefs.

"Sa forme d'organisation est des plus  admirables. Les missives qui sont envoyées en ville ou vers les provinces parviennent sans aucun doute possible à leurs destinataires. La raison en est que le numéro de leur demeure est inscrit sur chaque missive. Ce numéro  permet en effet d'identifier chaque domicile sans risque de le confondre avec un autre.

"L'expéditeur d'une missive dépose celle-ci dans un endroit  installé à cet effet dans chaque quartier. Le coursier vient la recueillir pour la porter à son destinataire. La réponse peut parvenir dans la même journée. Les Français sont extrêmement respectueux du courrier et aucune personne ne s'aviserait d'ouvrir une missive adressée à autrui  quand bien même elle aurait un motif de soupçon particulier (quant à son contenu).

Poste et billets doux

"Une des conséquences du respect des Français pour la correspondance épistolaire est la multiplication à Paris des échanges de lettres entre amis et camarades et surtout entre amoureux. Ceux-ci n'ont pas à craindre que leurs missives soient ouvertes par quelqu'un d'autre. Ainsi les déclarations d'amour se font par cette correspondance épistolaire, promesse d'une liaison durable.

"Il y a aussi un local destiné à l'envoi de documents et objets, qui sont  également acheminés en toute sécurité par coursiers.


Malle-poste au relais


La publicité commerciale

"Mais entre autres choses utiles au commerce, il y a des journaux dans lesquels on vante les mérites de marchandises utiles et  de bonne qualité, contribuant ainsi à leur diffusion et à l'information des gens.  En échange de ce service le fabricant verse une certaine somme au journal grâce auquel on parlera de ses produits, si Dieu  le veut.

"Pour diffuser leurs marchandises les négociants les font également connaître par de petites feuilles que des  employés distribuent gratuitement dans les maisons ainsi que dans les rues parmi les passants. Sur ces feuilles sont inscrits le nom du marchand et celui de sa boutique ainsi que l'énumération des produits proposés avec indication de leur prix.

"En général, on trouve à Paris tout ce qui existe au monde, de la  plus importante à la  plus modeste des choses.

"Les boutiques où l'on vend des drogues et remèdes prêts à l'usage tiennent une place importante à Paris. On y trouve tout ce qui existe au monde en matière de médicaments avec l'indication de leurs noms et de leurs propriétés.

l'appât du gain

"Tout un chacun à Paris, qu'il soit riche ou pauvre  est hanté par l'appât du gain. Au point que le petit qui n'est capable de parler que de petites choses applaudit des deux mains lorsqu'on lui donne un petit sou et clame sa joie de le posséder. Si leurs gains n'étaient pas généralement entachés  d'usure, les Français seraient les meilleurs d'entre les peuples prospères.

"Lorsqu'un commerce vient à souffrir de mévente, ce qui arrive souvent dans ces pays, le commerçant est conduit  à demander assistance. Il peut obtenir d'une personne haut placée un document  attestant que la situation difficile dans laquelle il se trouve justifie l'octroi d'une aide.

"Qu'il pleuve ou qu'il vente, le parisien se rend à son travail et comme il a coutume de le dire dans son langage, 'une main vide s'empresse d'aller faire le mal de même que le coeur vide court vers le péché'.

"Les gens de Paris sont tellement riches que la moyenne d'entre eux est plus fortunée que les plus riches d'entre les riches commerçants du Caire".

 "Il est dit que 'bienfaisance et générosité apportent l'honneur et qu'amasser les richesses n'engendre ni gloire ni grandeur', mais pourtant ces gens sont avides de richesse et persistent, prétendant que c'est là le moyen d'accroître leurs biens. Ils n'ont pas fait leurs ces mots du poète:

"Qui est avide d'accroître ses biens point ni parviendra
"Quand bien même prendrait -il les tempêtes pour monture".

"Il arrive que l'on trouve parmi les gens exerçant les métiers les plus vils (1) des personnes dont le revenu annuel dépasse cent mille francs en toute légalité en vertu des fondements de leur politique. Chez eux, ne saurait durer le pouvoir d'un roi tyrannique  ou d'un ministre qui s'illustrerait un jour par l'iniquité et l'injustice.

Les impôts et l'épargne

" Les français cependant paient l'impôt de bon coeur car ils savent que c'est un pilier de l'état, et  dans la mesure où chacun paie ce qu'il peut payer, Ils comprennent que l'argent de l'impôt contribue  à la grandeur du royaume et est justifié par le bon usage qui en est fait.

"La prospérité du royaume est à l'image de la prospérité de ses sujets. Aussi le revenu annuel de l'état atteint-il 389 millions de francs. L'une des raisons de la richesse des français réside dans leur sens de l'épargne et de la gestion des dépenses, qu'ils sont allés jusqu'à codifier et ériger au rang de science parmi celles qui président à la gestion des affaires du royaume.

"Ils ont pour règle générale de ne pas s'attacher aux choses dispendieuses et c'est ainsi qu'un ministre n'a jamais plus de quinze personnes sous ses ordres. Lorsqu'il marche dans la rue rien ne le distingue des autres passants et Il réduit autant que possible le nombre des personnes attachées à son service tant à son domicile qu'à l'extérieur.

"Cependant j'ai entendu dire qu'un parent du roi,  le duc d'Orléans, prince puissant qui aujourd'hui occupe le rang le plus élevé parmi les français et qui est aussi le plus riche de tous, n'a pas moins de quatre cents personnes à son service entre gardes armés, jardiniers et domestiques ou valets. Le commun des français estime que c'est trop et le lui reproche (1). Il est vrai qu'en Egypte le simple soldat a de nombreux domestiques.

1) mot peut-être utilisé ici dans le sens de vulgaire,  contraire de noble.
2) s'agit du fils aîné de Louis-Philippe, Ferdinand Pilippe duc d'Orléans, né en 1810, nommé "prince royal", brillant militaire mais aussi grand mécenne aux idées libérales.

Publié dans Histoire

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