UN ÉGYPTIEN À PARIS (23)
Sous Charles-X et Louis-Philippe
L'Imam Rifaat at-Tataoui découvre l'essor économique de la France
La richesse par le travail
"Il faut savoir que dans l'esprit de ces gens-là il est des choses bien ancrées telles qu'un amour passionné du gain, une assiduité totale dans sa recherche, l'éloge de l'effort et de l'action et la condamnation de la paresse et de la négligence. Au point que dans leur langue il n'est plus grave reproche que celui de paresse et fainéantise. Ils ont l'amour du travail qu'il soit de grande importance ou des plus modestes quels que soient la peine qu'il faut endurer ou le danger qu'il faut affronter pour l'accomplir.
"Ils ont à coup sur compris ces mots du poète:
"L'amour de la tranquillité te dissuade
" De la quête de grandeur et t'invite à la paresse,
"Et si la grandeur te tend la main
"Tu te caches dans un trou de souris,
"Ou t'enfuis à tire d'aile".
La banque
"La finance est à Paris la plus importante et la plus réputée des activités. Les financiers exercent soit dans le cadre de l'administration officielle soit en ville (à titre privé). Chez les premiers, les gens font les dépôts qu'ils veulent et retirent chaque année le gain fixé par la législation. Ce gain n'est pas considéré chez eux comme usuraire s'il n'excède pas le taux établi par la loi. En outre chacun peut à tout moment retirer ses dépôts.
"Les financiers privés exercent selon le même principe mais appliquent des taux plus élevés. Toutefois, les placements faits auprès des financiers officiels sont plus surs. En effet, le financier privé peut faire faillite alors que l'état est toujours là, qui garantit les dépôts effectués dans le secteur officiel et dont il est responsable.
La Corbeille
Les Assurances
"Entre autres secteurs d'activité importants , il y a à Paris un groupement associatif d'assurance qui garantit à tout souscripteur, moyennant le paiement annuel d'une somme modique, un dédommagement pour tout dégât accidentel pouvant affecter ses biens, comme l'incendie de sa maison ou de son échoppe par exemple, qui lui sont ainsi rendues en leur état initial.
L'artisanat et l'industrie
"Il existe à Paris des ateliers d'état et des ateliers privés dont les activités vont de l'orfèvrerie et l'argenterie à la maroquinerie en passant par la porcelaine, la pourpre, la cire d'Alexandrie (1), le savon, le coton et la pelleterie.
"La qualité du travail de ces ateliers est, pas à pas, en constante amélioration. C'est ainsi que tous les trois ans environ, les artisans exposent leurs travaux pour faire reconnaître leur notoriété. Ils dévoilent dans ces expositions leurs inventions et leurs réalisations les plus parfaites.
"On y voit encore de nombreux marchés où l'on vent toutes sortes de marchandises, des halles, des boutiques de commerce et des échoppes d'artisans dont le nom du propriétaire figure sur la devanture.
Marché (gravure d'époque)
"Personne ne peut entreprendre une activité commerciale sans avoir au préalable payé une somme d'argent fut-elle modique au Trésor public, duquel il reçoit l'autorisation d'exercer matérialisée par un insigne qu'il avoir garder sur lui et afficher dans son établissement.
Chambre de Commerce
"Le négoce dispose à Paris d'un "Bureau du Commerce" (2) où l'on enseigne le savoir nécessaire à cette activité, notamment l'expertise des caractéristiques des différentes sortes de marchandises et l'estimation de leur valeur vénale. Ce bureau gère quinze écoles fréquentées par des étudiants de nombreuses régions et, conformément à son règlement, peut également accueillir des étudiants de tous pays moyennant paiement d'une somme déterminée.
"'D''autres activités contribuent à la richesse et à l'éclat de ce pays telles que le développement des voies fluviales et terrestres, l'aménagement de bassins et la construction de bateaux naviguant à la vapeur (3), l'édification de ponts, la création de bureaux chargés de l'organisation des voyages à bord de grandes voitures, le télégraphe, la poste acheminée par coursiers à pied ou cavaliers etc.
"Autour de Paris il y a quatre bassins fluviaux d'où sont acheminées les marchandises et l'on peut voir sur la Seine des bateaux en forme de voitures (4) ainsi que de rapides embarcations à chaudière (5).
Navette à vapeur
Les transports
"Il y a diverses sortes de voitures qui diffèrent par la forme, le nom, la vitesse ou l'utilisation. Il y a ainsi des véhicules équipés pour le transport de marchandises de Paris vers l'extérieur. C'est ce qu'on appelle le roulage. Il y a aussi des voitures appelées diligences destinées au transport des personnes en voyage et d'autres plus petites pour les courtes distances et qu'on appelle Coucou (6). Les passagers paient un somme déterminée comme c'est le cas pour le transport en bateau.
Coucou
"Les parisiens peuvent également louer un véhicule à la journée, au mois ou à l'année. Les voitures les plus communes sont les fiacres, certains ont deux banquettes en vis-à-vis et transportent six personnes. Ils sont tirés par deux chevaux. D'autres, nommées cabriolets ou demi-fiacre, n'ont qu'une seule banquette. Le transport à bord de ces voitures est payé à l'heure ou selon la distance de la course moyennant une somme fixée à l'avance et qui ne peut en aucun cas être augmentée ou diminuée. En somme, le nombre des voitures qui circulent dans Paris est plus grand encore que celui des ânes qui trottent dans les rues du Caire.
Diligence
Le transport en commun
"Une nouveauté est apparue avec la mise en service de très grandes voitures appelées omnibus, ce qui signifie "pour tout le monde" (لكل خلق). Ces voitures transportent de nombreux passagers . Sur leur porte, est indiqué le nom du quartier de destination. Chaque passager paie une somme déterminée. On trouve les omnibus dans les rues principales de la ville.
Omnibus parisien XIXème (collection RATP)
Déménageurs et marchands ambulants
"On voit encore des charrettes servant au transport de mobilier domestique (7) ainsi que d'autres utilisées par des marchands qui circulent en ville pour proposer leurs produits. Ces voitures sont tirées par un cheval ou un âne, mais aussi par le marchand lui-même, seul ou avec son chien. Il y a enfin des charrettes servant au transport de pierres ou de terre."
1) Connue sous ce nom par les arabes, il semble s'agir ici d'une cire d'abeille utilisée pour les soins de la peau et cosmétiques.
2) Avant d'être appelées Chambres de Commerce, ces institutions étaient connues sous le nom de Bureaux du Commerce. La Chambre de commerce de Paris a été créée par Chaptal à l'initiative de Napoléon Bonaparte en 1803.
3) L'auteur écrit "bateaux à fumée".
4) Tahtaoui nous parle sans doute des navettes de transport de passagers. A l'époque, Paris connaissait un important trafic fluvial.
5) L'auteur écrit "bateau à feu" sans doute par référence au pyroscaphe essayé en 1783 par le maître de forges Antoine Frèrejean. Mais le premier bateau à vapeur vraiment opérationnel, appelé l'Elise, est arrivé à Paris venant de Londres le 29 mars 1816.
6) sorte de cabriolet à deux roues tiré par un cheval.
7) Tahtaoui veut sans doute parler des voitures de déménagement.