UN ÉGYPTIEN A PARIS (15)
Sous Charles-X et Louis Philippe
Rifaat at-Tahtaoui s'intéresse à la gastronomie et aux tentations de Bacchus
Restaurants
"il existe à Paris, entre autres lieux agréables, des endroits où manger que l'on appelle "Restaurateurs"; ce que nous appelons chez nous "lokanga" (1). On y trouve tout ce que l'on peut avoir chez soi et même mieux encore. Quoi que vous demandiez vous le trouvez là prêt à votre disposition. Il y a plusieurs salles fournies de tout le nécessaire ménager et il y a même des chambres à coucher richement meublées.
La table
"Les "restaurateurs" proposent diverses sortes de mets y compris des fruits et des friandises. Les Français ont coutume de manger dans des assiettes ou des plats de faïence mais jamais dans de la vaisselle en cuivre. Devant chaque personne, une cuiller, une fourchette et un couteau d'argent sont disposés sur une nappe. ll y a un plat différent pour chacun des mets et devant chaque personne sont posés un verre et une bouteille contenant la boisson. Les verres et les bouteilles sont en cristal ou en verre et personne ne se sert des couverts de son voisin. Devant chaque personne, trois flacons sont également disposés, l'un contenant du sel, le deuxième du poivre et le troisième de la moutarde. Bref..! le service de table est fort joliment disposé.
Le menu
"Le repas commence par une soupe et se termine par de la pâtisserie et des fruits. C'est en général du vin et non de l'eau qui accompagne le repas et les gens, surtout ceux de la bonne société ne boivent le vin que très modérément, sans jamais s'enivrer car ils considèrent que l'ivresse est un vice abject. Après le repas, il leur arrive parfois de boire un doigt de spiritueux.
"Mais malgré la consommation qu'ils en font, les français n'accordent guère de place au vin dans leurs oeuvres poétiques et n'ont pas, au contraire des Arabes, beaucoup de noms pour le désigner (2). Ils en jouissent seulement pour ce qu'il est et leur imaginaire n'y puise pas d'inspiration dans les domaines de la métaphore ou de l'éloge. Ils ont certes des livres dans lesquels ont parle d'ivrognes mais ce n'est que plaisanterie ordinaire dénuée de toute valeur littéraire.
"Beaucoup boivent du thé après les repas parce que le thé, disent-ils, facilite la digestion. D'autres boivent du café sucré et les gens ont pour la plupart l'habitude d'émietter du pain dans le café au lait qu'ils boivent au petit déjeuner.
"Le pain consommé par les Parisiens est évalué à trente-cinq millions de Francs. En ce qui concerne les viandes, ils consomment 81.430 boeufs, 13.000 vaches, 470.000 moutons et 100.000 porcs et cochons sauvages. Le beurre et les oeufs sont évalués à dix millions de Francs.
Conserves
"Entre autres choses extraordinaires, les Français ont inventé un procédé empêchant la corruption des denrées périssables. Ils peuvent ainsi conserver le lait intact pendant cinq ans, les viandes fraîches pendant dix ans et on peut aussi, de cette manière consommer des fruits hors saison. Mais malgré toute l'ingéniosité ainsi mise en oeuvre concernant les divers produits alimentaires, on constate que les aliments n'ont guère de goût à Paris et les fruits y sont dépourvus de leur authentique saveur. Seules les pêches sont savoureuses dans cette ville. (3)
Bistrots et poivrots
"Les tavernes sont innombrables à Paris jusque dans le moindre quartier. Elles ne sont fréquentées que par des vauriens et des débauchés avec leurs femmes. Ils crient à tue-tête et en sortant ils n'ont que ces mots: A boire! A boire..! Toutefois, dans leur ivresse, ils ne provoquent pas vraiment de dommages.
Comment se débarrasser d'un ivrogne importun
" Un jour, alors que je marchais dans la rue, un ivrogne m'a interpellé en criant: Oh toi, le Turc! tout en m'agrippant par mon vêtement. Je me trouvais près d'une boutique de confiserie. J'y suis entré avec l'ivrogne. Je l'ai assis sur une chaise et j'ai dit au patron de l'établissement sur le ton de la plaisanterie: Pouvez-vous me donner quelque sucrerie ou friandise pour le prix de cet individu? Il m'a répondu: Ici nous ne faisons pas, comme chez vous, commerce d'êtres humains. Je lui ai rétorqué que l'état dans lequel se trouvait l'ivrogne n'avait aucun caractère humain. L'homme est resté assis, totalement absent. Je l'ai laissé et m'en suis allé."
(1)
"Lokanga" est un mot emprunté au Turc par les arabes du Proche-Orient. Il signifie restaurant en Turc mais généralement hôtel dans les pays arabes. Ce doit être le cas ici selon la description de l'auteur puisqu'il parle de chambres à coucher. Tahtaoui transcrit littéralement le mot français sous la forme "ristouratour"
(2)
L'auteur fait allusion à la riche poésie bacchique arabe des débuts de l'empire islamique.
(3)
Nicolas Appert a fondé en 1802 la première fabrique de conserves industrielles. Le récipient était de verre mais a été remplacé par des boites en fer en 1815. Ces conserves étaient à leur début particulièrement destinées aux armées en campagne.
Rifaat at-Tahtaoui s'intéresse à la gastronomie et aux tentations de Bacchus
Restaurants

"il existe à Paris, entre autres lieux agréables, des endroits où manger que l'on appelle "Restaurateurs"; ce que nous appelons chez nous "lokanga" (1). On y trouve tout ce que l'on peut avoir chez soi et même mieux encore. Quoi que vous demandiez vous le trouvez là prêt à votre disposition. Il y a plusieurs salles fournies de tout le nécessaire ménager et il y a même des chambres à coucher richement meublées.
La table
"Les "restaurateurs" proposent diverses sortes de mets y compris des fruits et des friandises. Les Français ont coutume de manger dans des assiettes ou des plats de faïence mais jamais dans de la vaisselle en cuivre. Devant chaque personne, une cuiller, une fourchette et un couteau d'argent sont disposés sur une nappe. ll y a un plat différent pour chacun des mets et devant chaque personne sont posés un verre et une bouteille contenant la boisson. Les verres et les bouteilles sont en cristal ou en verre et personne ne se sert des couverts de son voisin. Devant chaque personne, trois flacons sont également disposés, l'un contenant du sel, le deuxième du poivre et le troisième de la moutarde. Bref..! le service de table est fort joliment disposé.
Le menu
"Le repas commence par une soupe et se termine par de la pâtisserie et des fruits. C'est en général du vin et non de l'eau qui accompagne le repas et les gens, surtout ceux de la bonne société ne boivent le vin que très modérément, sans jamais s'enivrer car ils considèrent que l'ivresse est un vice abject. Après le repas, il leur arrive parfois de boire un doigt de spiritueux.
"Mais malgré la consommation qu'ils en font, les français n'accordent guère de place au vin dans leurs oeuvres poétiques et n'ont pas, au contraire des Arabes, beaucoup de noms pour le désigner (2). Ils en jouissent seulement pour ce qu'il est et leur imaginaire n'y puise pas d'inspiration dans les domaines de la métaphore ou de l'éloge. Ils ont certes des livres dans lesquels ont parle d'ivrognes mais ce n'est que plaisanterie ordinaire dénuée de toute valeur littéraire.
"Beaucoup boivent du thé après les repas parce que le thé, disent-ils, facilite la digestion. D'autres boivent du café sucré et les gens ont pour la plupart l'habitude d'émietter du pain dans le café au lait qu'ils boivent au petit déjeuner.
"Le pain consommé par les Parisiens est évalué à trente-cinq millions de Francs. En ce qui concerne les viandes, ils consomment 81.430 boeufs, 13.000 vaches, 470.000 moutons et 100.000 porcs et cochons sauvages. Le beurre et les oeufs sont évalués à dix millions de Francs.
Conserves
"Entre autres choses extraordinaires, les Français ont inventé un procédé empêchant la corruption des denrées périssables. Ils peuvent ainsi conserver le lait intact pendant cinq ans, les viandes fraîches pendant dix ans et on peut aussi, de cette manière consommer des fruits hors saison. Mais malgré toute l'ingéniosité ainsi mise en oeuvre concernant les divers produits alimentaires, on constate que les aliments n'ont guère de goût à Paris et les fruits y sont dépourvus de leur authentique saveur. Seules les pêches sont savoureuses dans cette ville. (3)
Bistrots et poivrots
"Les tavernes sont innombrables à Paris jusque dans le moindre quartier. Elles ne sont fréquentées que par des vauriens et des débauchés avec leurs femmes. Ils crient à tue-tête et en sortant ils n'ont que ces mots: A boire! A boire..! Toutefois, dans leur ivresse, ils ne provoquent pas vraiment de dommages.
Comment se débarrasser d'un ivrogne importun
" Un jour, alors que je marchais dans la rue, un ivrogne m'a interpellé en criant: Oh toi, le Turc! tout en m'agrippant par mon vêtement. Je me trouvais près d'une boutique de confiserie. J'y suis entré avec l'ivrogne. Je l'ai assis sur une chaise et j'ai dit au patron de l'établissement sur le ton de la plaisanterie: Pouvez-vous me donner quelque sucrerie ou friandise pour le prix de cet individu? Il m'a répondu: Ici nous ne faisons pas, comme chez vous, commerce d'êtres humains. Je lui ai rétorqué que l'état dans lequel se trouvait l'ivrogne n'avait aucun caractère humain. L'homme est resté assis, totalement absent. Je l'ai laissé et m'en suis allé."
(1)
"Lokanga" est un mot emprunté au Turc par les arabes du Proche-Orient. Il signifie restaurant en Turc mais généralement hôtel dans les pays arabes. Ce doit être le cas ici selon la description de l'auteur puisqu'il parle de chambres à coucher. Tahtaoui transcrit littéralement le mot français sous la forme "ristouratour"
(2)
L'auteur fait allusion à la riche poésie bacchique arabe des débuts de l'empire islamique.
(3)
Nicolas Appert a fondé en 1802 la première fabrique de conserves industrielles. Le récipient était de verre mais a été remplacé par des boites en fer en 1815. Ces conserves étaient à leur début particulièrement destinées aux armées en campagne.