UN EGYPTIEN A PARIS (2)

Publié le par Yaqzan

Sous Charles-X et Louis-Philippe

Marseille:  Premier contact avec le "Pays des Francs"  Voir  Un Egyptien à Paris ...

Le Cheikh Tahtaoui et ses quarante jeunes protégés arrivés dans la rade de Marseille sont amenés à terre à bord de petites embarcations. Précaution sanitaire oblige,  ils sont aussitôt dirigés avec les autres passagers de leur navire vers la "Quarantaine" comme c'est le cas de tous les voyageurs venant de pays lointains. Ils y resteront en fait dix-huit jours.


Marseille. Le vieux port au XIX-ème siècle

La "quarantaine": Lit, table et couvert

L'Imam raconte: "C'est un lieu vaste avec de belles constructions, des jardins et des bassins... Nous y faisons de nombreuses découvertes surprenantes: Ainsi , des serviteurs français dont nous ne connaissons pas la langue nous apportent une centaine de sièges pour nous asseoir parce que dans ce genre de pays il est considéré comme étrange de s'asseoir sur des tapis ou à même le sol... Puis ils apportent des tables hautes et y disposent des plats blancs devant chacun desquels ils placent un gobelet de verre, une fourchette, un couteau et une cuiller. Sur chaque table ils posent deux bouteilles de verre, un flacon de sel et un autre de poivre. Ils alignent ensuite des chaises à raison d'une pour chacun d'entre nous. Ils apportent enfin pour chaque table un grand plat de nourriture que l'un des convives divise entre les différentes assiettes. Chacun coupe les aliments avec un couteau pour la porter à sa bouche à l'aide de la fourchette. Il n'est pas question de se servir avec les mains ni d'emprunter la fourchette,  le couteau ou le verre du voisin. On prétend ici que c'est une question de propreté et de santé".

Et le Cheikh Tahtaoui de poursuivre le récit de ses observations méticuleuses: "On remarque chez les "Francs" (*) qu'ils ne mangent jamais dans des plats de cuivre fussent-ils étamés. Ceux-ci sont réservés exclusivement à la cuisine. Ils utilisent à table  des plats  émaillés dans lesquels ils mangent des mêts de multiples sortes. Ils commencent par une soupe, puis continuent par de la viande, des légumes, des pâtisseries et de la salade. Souvent les plats sont émaillés de la couleur de la nourriture qu'on y met. Ainsi par exemple, la salade est servie dans des plats décorés de couleur verte. Ils terminent leur repas par des fruits et une liqueur mais en petite quantité. Riches ou pauvres ils prennent régulièrement
thé ou café ...." Enfin, note-t-il, on a coutume ici de dormir sur des  lits élevés".

Boutiques, miroirs et jolies élégantes


élégantes XIXème "Paris Pîttoresque"

Sortis de la "Quarantaine", l'Imam accompagné de ses compagnons visite  la ville et se dit émerveillé par "ses larges rues, jour et nuit bruyantes du roulement chaotique des calèches joliment décorées... Les murs intérieurs des boutiques, les galeries, sont tapissés de miroirs et on y voit beaucoup de jolies femmes, vêtues, selon ce qu'on dit, à la dernière mode.  Le visage découvert, le vêtement décolleté, laissant voir largement la gorge  et la nuque et même plus encore. Elles vont les mains sur les hanches.

Tahtaoui est surtout surpris par le luxe des cafés "Ce ne sont pas des lieux fréquentés par des vauriens, mais par des personnes, de bonne tenue. D'ailleurs tout y est très cher et destiné aux  gens qui ont de la richesse . Quant aux pauvres ils fréquentent de mauvaises  tavernes où l'on sert du vin et d'autres  où l'on fume du haschich".

Une brasserie à la mode

Il poursuit: "Nous sommes entrés une fois dans un café étonnant par son  luxe et la qualité de son agencement. Il était tenu par une femme, assise sur une estrade avec devant elle un encrier,  une plume et une liste. Le café est préparé dans une pièce à part et des garçons font un va-et-vient incessant entre cette pièce et la salle principale pour servir les clients. On y sert toutes sortes de boissons. Le garçon demande au client ce qu'il désire puis  va le dire à la dame, qui inscrit la commande sur son registre, découpe un petit morceau de papier où est inscrit le prix à payer et que le garçon apporte aussitôt au client..."

"Dans ce café, poursuit-il, on est assis sur de confortables sièges joliment revêtus, devant des tables de bois précieux recouvertes de marbre noir ou ciselé et
 il y a tellement de vitres et de miroirs que l'on a l'impression d'être multipliés par autant de reflets. Quant aux tasses à café, elles sont au moins quatre fois plus grandes que les nôtres en Egypte". Tahtaoui note enfin que "des gazettes sont à la disposition des clients qui veulent  s'informer des nouvelles du jour".

Marseille cosmopolite

"En attendant notre départ pour Paris, nous avons commencé à apprendre le b.a-ba de la langue Française" poursuit l'Imam. Il ne le dit pas mais il a peut être été aidé pour ce faire par un ex-compatriote ou autre arabophone. Il remarque en effet qu'il y a beaucoup d'orientaux à Marseille, "Syriens, Chrétiens égyptiens (coptes), mamelouks  circassiens ou géorgiens revenus d'Egypte dans les bagages de l'armée de Bonaparte,  tous vêtus à la mode française et pour la plupart convertis au christianisme ".

Achevant sa description de la cité phocéenne où il dit être demeuré cinquante jours, l'imam écrit: "Nous avons également vu à Marseille un chose des plus étranges appelée "spectacle". Il n'y a pas de mots pour la décrire. Il  faut absolument voir cela pour la  fête"

Rifaat al-Tahtaoui et ses quarante protégés sont maintenant prêts à prendre une diligence pour Paris. Nous raconterons leur voyage dans un prochain article.

* Jusqu'à une période pas très éloignée le terme "Francs" (إفرانج) a été utilisé en Orient  pour désigner les Européens (vieux souvenir des Croisades?)

Extraits traduits de l'Arabe par Yaqzan








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