RAMADAN
Vu de ma fenêtre

Des cinq obligations, ou piliers *, de l'Islam, le Ramadan est incontestablement la plus largement sinon unanimement respectée dans le monde musulman en général et en Egypte en particulier. Cela tient sans doute à son caractère affirmé de communion et solidarité dans la longue épreuve du jeûne diurne et de convivialité chaleureuse dans la joie de sa rupture nocturne.
Photo Yaqzan
Les non-pratiquants eux-mêmes la respectent dans la mesure où s'ils n'observent pas le jeûne, il ne le laissent pas paraître ostensiblement (جهرًا). L'enfreindre en public est mal toléré et peut être considéré dans le pire des cas comme une provocation et pour le moins comme une indécence ou un manque de courtoisie.
Au delà de la communauté musulmane
A cet égard on peut considérer que, dans la mesure ou il opère en quelque sorte une métamorphose du cadre de la vie sociale pour la durée d'un mois , le Ramadan impose son originalité au delà de l'espace communautaire musulman. Aussi, le chrétien égyptien, copte ou d'autre confession, et le résident étranger ne peuvent s'abstraire de cette réalité. Généralement, sur leur lieu de travail, les non-musulmans s'abstiennent par courtoisie de manger, de fumer ou de boire devant leurs collègues musulmans.
Dans les restaurants d'un certain niveau fréquentés habituellement par la bourgeoisie ou les étrangers, on ne sert pas de boissons alcoolisées pendant le Ramadan. Cela tient le plus souvent à la volonté des serveurs plutôt qu'à celle de leur direction, qui n'a rien à gagner à cette restriction.
Comme nous l'avons exposé plus haut, le jeûne est quasi-unanimement respecté et certains fidèles vont même au delà de leur obligation lorsque malades, ils s'abstiennent d'ingérer leurs médicaments alors qu'ils y sont autorisés par la loi religieuse. Ils sont souvent réprimandés pour cela.
Lorsque le Ramadan tombe en période estivale, l'abstinence de boisson est particulièrement pénible et engendre parfois une certaine nervosité dans le comportement. On voit souvent au Caire, les portiers d'immeubles occupés à arroser interminablement le sol perpétuellement poussiéreux des trottoirs, porter le bec de leur tuyau d'arrosage à la bouche pour la rincer et recracher aussitôt le liquide tant désiré mais en ces jours interdit.
Sensations et images particulières
De la large baie vitrée de mon bureau, dans centre du Caire, je pouvais voir la Citadelle. Les soirs de Ramadan, peu avant le coucher du soleil je m'y postais pour observer sa silhouette assombrie, guettant les coups de canon qui allaient annoncer l'instant officiel de l'Iftar, la rupture du jeûne (الافطار).
Déjà, une demi-heure auparavant, au vacarme assourdissant de la rue cairote, véritable autel à la gloire du "Dieu Décibel", avait succédé un silence absolu, étrangement enveloppant, pour ainsi dire palpable mais fragile, et Je me surprenais à imaginer que le tintement des couverts préparés dans les maisons avoisinantes pour le repas tant attendu pourrait parvenir jusqu'à moi.
Je préférais attendre encore quelques minutes avant de sortir et prendre ma voiture pour rentrer chez moi. Les rues sont en ces moments particulièrement dangereuses. Les retardataires pressés par la faim conduisent leurs véhicules à une vitesse folle sans se préoccuper des feux rouges pour se joindre au plus vite à leur famille ou à leurs amis et partager l'iftar, ce moment suprême de chaleur familiale ou de convivialité amicale.
Sorti enfin, je pouvais voir ici et là sur les trottoirs, dans la pénombre, de longues tables formées de planches dressées sur des tréteaux pour le repas offert aux moins fortunés par les "restaurants du Miséricordieux", "Mata'em ar-Rahman" (مطاعم الرحمان).
Lampions venus d'un lointain passé
J'habitais Zamalek dans l'île de Gazira, un quartier résidentiel mais de grande mixité sociale abritant de nombreux commerces. Après le repas du soir, la nuit déjà avancée, me promener dans ses rues était pour moi un ravissement. Une foule épanouie déambulant en famille d'un pas lent devant les étals, une orgie de lumière faisant reluire la peau lisse des fruits disposés en pyramides (serait-ce une obsession), les porches des maisons et les devantures des boutiques éclairées par des lampions colorés appelés "fanous" (فانوس).
Ces lampions sont très vraisemblablement un vieil héritage des temps pharaoniques, où, selon le géographe grec Hérodote, les anciens égyptiens célébraient une fête dite des "lampes ardentes", que rappelle sans doute la fête Copte de l'Epiphanie "al-ghetas" (الغطاس) commémorant le baptême de Jésus et où la population sortait autrefois la nuit en procession dans la plus grande gaieté, à la lumière des lampions, avant de plonger dans l'eau du Nil sensée protéger des maladies. Ces festivités, liées au vieux culte rendu au Nil, ont été décrites par les historiens arabes dès le X-ème siècle de notre ère (notamment Al-Mas'oudi dans ses "Prairies d'Or). Selon eux, toute la population y participait, chrétiens et musulmans réunis.
Fruits secs
Pendant les nuits de Ramadan, les égyptiens, du moins au Caire, font une grande consommation de "no'l" (نقل), à savoir des fruits secs, amandes, noisettes, pois-chiches et pépins de pastèques ou de courges séchés, passés au four et salés.
Très grande consommation en réalité; et ce phénomène est devenu depuis des années ce qu'on appelle dans le jargon de la presse, un "marronnier" à savoir le sujet dont il faut impérativement traiter chaque année en des termes immuables. C'est ainsi qu'à l'occasion dث Ramadan, la radio, la télévision, la presse prodiguent chaque année leurs conseils de modération aux ménagères faisant valoir qu'il n'est pas raisonnable de grever le budget familial avec ces friandises. Peine perdue. Les adultes grignotent inlassablement en regardant les nouvelles séries télévisées de Ramadan, autre "marronnier" qui alimente toutes le conversations, et personne ne s'aviserait de priver les enfants de friandises en ce mois qui pour eux est surtout une longue fête leur permettant de se coucher tard et rêver au beau costume ou à la belle robe qui leur seront offerts à l'occasion de l'Aïd, qui consacre la fin du jeûne.
رمضان كريم
*
1/ L'affirmation de l'unicité de Dieu Shahada الشهادة
2/ La prière rituelle Salat الصلاة
3/ L"aumone légale Zakat الزكاة
4/ Jeûne de Ramadan Siyam صيام رمضان
5/ Pèlerinage à la Mecque Hajj ّالحج