VOYAGE AU PAYS DU "GAI MENTIR"
Moncrabeau village où mentir est vertu
Il m'est arrivé il y a quelques années de visiter un charmant village gascon, nommé Moncrabeau . Vous me direz: "et alors!".
Et bien! ce village du Lot-et-Garonne n'est pas n'importe quel village. Mentir n'y est pas un peché mais, en vérité -si je puis ainsi m'exprimer- une vertu et un art que l'on cultive depuis plus de deux siècles et demi et qu'on exalte chaque premier dimanche du mois d'août par le sacre du "Roi des Menteurs".
Moncrabeau s'enorgueillit en effet de posséder une Académie des Menteurs créée en 1748 et dont les lettres patentes, conservées aux archives départementales d'Agen, précisent qu'elle réunit "tous les hâbleurs, menteurs, nouvellistes et autres personnes désoeuvrées qui s'exercent dans le bel art de mentir finement sans porter préjudice à autre que la vérité".
Il est vrai, si l'on en croit les historiens du lieu - mais le peut-on vraiment? - que Moncrabeau était un site prédestiné. Son nom signifie Montagne des Chèvres en Gascon et il a été ainsi baptisé parce que les caprinés, qui raffolent du sel, se régalaient du salpêtre qui recouvre la colline où il est bâti. Les moncrabelais étaient donc voués à savourer le sel de l'esprit comme leurs chèvres celui de la colline.
J'y étais cette année-là le premier dimanche d'août et on a donc élu le roi des menteurs de l'année, Michel 1er. Déjà sacré deux fois par le passé, il était en droit de prétendre demeurer le premier de sa dynastie.

C'est une histoire désopilante sur une prétendue origine savoyarde des chèvres de Moncrabeau que lui enseigna, dit-il, son aïeul Biquet 1er, qui lui a valu de recueillir la plus grosse quantité de sel (sorte de bulletin de vote), à savoir plus d'un kilo et demi. Il était ainsi assuré de la victoire sur les onze autres prétendants au trône du royaume des menteurs venus de tout le sud-ouest et même de Belgique.
Photo Yaqzan
Salière et cuiller de bois
Les jurés, membres de l'Académie des Menteurs, dont le siège est situé, soit dit en passant et sans mentir et je m'en porte garant pour l'avoir de mes yeux constaté, rue Cocu-Saute à Moncrabeau, votent à l'aide d'une salière et d'une cuiller de bois, attribuant à chaque prétendant une quantité de sel allant d'une à douze cuillerées.Tout cela sous le regard tutélaire d'une jolie petite chèvre au pelage mordoré.

Le nouveau souverain, chagé de veiller à ce que tous ses sujets respectent leur engagement de "travestir la vérité, toute la vérité et rien que la vérité en tout temps et en tout lieu" avait noté au passage que comme son prédécesseur élu l'année d'avant, il était employé dans un hôpital psychiatrique de la région. Mais cela, avait-il dit, n'est que pure coïncidence.
Photo Yaqzan
Devant plus d'un millier de personnes venues soutenir leur prétendant favori, la séance des "menteries", obligatoirement dites en Français ou en Gascon, était animée cette année-là par l'orphéon de la Royale Moncrabeau de Namur, académie soeur de Belgique, composée de quarante Molons, mot qui dans leur patois désigne, s'il faut les croire, mais le peut-on vraiment? l'araignée qu'ils ont dans le plafond.
Au détour d'une "menterie" quelque peu grivoise sur certains égarements des moeurs pastorales, un sage du lieu a été cité qui aurait dit: "A Moncrabeau, il n'y a plus guère de chèvres mais il nous reste nos femmes".