Le chat de Pharaon

Publié le par Yaqzan


Je n'aime pas beaucoup le chat. Pardon pour ceux d'entre vous, innombrables, qui l'aiment. A vrai dire, ils m'inquiète. son regard intense vous transperce comme si il lisait vos pensées, intrusion fort gênante. Je le trouve sournois et surtout hypocrite. Quand il se frotte contre vous, il ne vous caresse pas, comme la plupart des gens le pensent. En fait Il se caresse lui-même. Certains lui prêtent des dons magiques, d'autres même maléfiques, surtout lorsqu'il est noir. Le chat noir pousse même l'hypocrisie jusqu'à se parer de blanc le petit bout de la queue. La queue! Parlons-en. Quand il la dresse souvent, droite comme un "I" tendue vers le ciel, c'est tout simplement de l'arrogance, aggravée par

photo Yaqzan
son ronronnement de pure satisfaction provocatrice. On lui prête aussi sept vies et en croiser un noir venant de la gauche serait, dit-on, de mauvais augure. Pourtant, il m'a été donné, ou plutôt imposé de coexister avec un nombre considérable de chats lorsque je vivais au Caire. La capitale de l'Egypte c'est douze millions d'habitants. Mais combien de chats?Peut être quelques millions. On ne saurait le dire avec précision.

Héritiers scrupuleux du fameux scribe  représenté sur les papyrus antiques, assis en tailleur, son registre et son calame à la main,
les statisticiens officiels recensent, les humains, les buffles, les vaches, les chameaux, les chèvres et les moutons, mais ne comptent pas les chats puisque ceux-ci ne sont pas domestiques. Ils sont indépendants. Le chat cairote coexiste avec l'homme, mais à l'écart.  Il laisse à celui-ci la jouissance exclusive des appartements car il préfère la fraîcheur des escaliers d'immeuble, dont il ne s'éloigne pour ainsi dire jamais.

C'est là qu'il prolifère, se nourrissant avec sa nombreuse famille de reliefs de cuisine arrachés aux poubelles et aussi de la chasse aux blattes. La coexistence est pacifique, une sorte d'accord tacite régi par une apparente indifférence mutuelle, à moins qu'il ne s'agisse de déférence  humaine à l'égard du chat. Un peu de méfiance toutefois, lorsque l'homme et le chat se croisent dans l'escalier. L'homme est toujours impressionné par le regard intense du félin qui le fixe, ramassé sur lui-même, prêt à s'enfuir d'un bond au moindre signe d'une improbable agressivité.

Fier de ses titres de noblesse, fils de la déesse Bastet, elle-même fille de Rê, dieu du soleil, et honorée comme telle  au temple de Boubastis, le chat ne rend pas de comptes à l'état. Né en Egypte, N'a-t-il pas été autrefois momifié après son trépas au même titre que Pharaon, ses femmes, ses princes et ses ministres. Aujourd'hui encore on peut voir sur le site de Saqqara ces momies de chats fort nombreuses mises au jour par l'archéologue français Alain Zivi. Déjà, le voyageur et géographe grec Hérodote disait: "Les chats trépassés sont apportés à Boubastis, où ils sont embaumés et enterrés dans des urnes sacrées".

Ce pacte tacite de coexistence pacifique a toutefois failli être dénoncé un jour par les humains lorsque les fils de Bastet se mirent en tête de coloniser l'aéroport du Caire

Que le félin circule dans les couloirs et halls de l'aérogare, passons! mais qu'il se soit avisé un jour de s'introduire à l'intérieur des cabines d'avion, y provoquant la panique, voilà qui était trop! C'est pourquoi les autorités aéroportuaires formèrent des équipe de "chasseurs de chats". Il n'était pas question de se débarrasser des félins à l'aide de poison ou  d'armes à feu, ni de les gazer après capture. Non! Impensable! Il s'est agi seulement de les capturer puis de les relâcher dans une lointaine banlieue. C'est ce à quoi s'employèrent pendant quelques semaines des équipes de volontaires équipés de lassos et aussi de gants pour se protéger contre des coups de griffes et des morsures inévitables.

Cependant,le chat n'est pas le seul animal cairote indépendant. L'homme attentif peut,  la nuit venue, faire la rencontre furtive de dame belette  à la course rapide, lancée sur les traces de quelque souris. C'est un chanceux. L'animal nocturne est discret.


 
Il y a aussi le chien qui de sa vie n'a jamais connu collier ni jamais rendu plus de compte à l'humanité que compère le chat ou commère la belette urbaine. Le plus souvent vêtu d'un pelage jaune pâle,  un vague air de chacal n'était-ce sa queue en trompette, le chien cairote est libre comme le vent. Il trottine le long des rues comme quelqu'un qui sait où il va et pourquoi il y va. Il s'arrête pour évaluer la circulation automobile et traverse la rue en toute sécurité, croisant le regard avec l'automobiliste, d'un air entendu.

Pauvre esclave que ce gentil caniche nain tout blanc, compagnon sans doute de quelque enfant de diplomate, qu'une employée de maison, vêtue de la "melaya" noire des paysannes, promène en laisse, de mauvaise grâce, dans le quartier résidentiel de Zamalek.

Le chien cairote n'est pas agressif, sauf lorsqu'il erre en meute, mâle dominant en tête, dans des endroits déserts, notamment aux environs des pyramides, dont il s'estime sans doute le maître.

Il est sans doute, ce chien cairote, le seul au monde que l'on puisse voir, comme moi je l'ai vu, de mes yeux vu, les quatre pattes écartées, le museau haut levé dans une attitude de défi, juché sur le toit d'une voiture. Suprême mépris, il y laissera parfois une carte de visite incongrue, comme l'un d'entre eux l'a fait un jour pour moi à mon grand dam.


Le reste de la gent animale du Caire est essentiellement constitué de canards, oies, poules et lapins, peuplant les toits en terrasse et les étages inachevés des immeubles. Le sort qui les attend est moins enviable que celui des chats. Noblesse oblige!

Publié dans insolite

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